Nouvelle création québécoise samedi soir à l’Opéra de Montréal avec La Reine-garçon du tandem Julien Bilodeau / Michel Marc Bouchard. Une proposition bien ficelée, qui a enthousiasmé le public présent à la salle Wilfrid-Pelletier.

Il en a coulé de l’eau sous les ponts depuis l’annonce, en 2015, d’une adaptation lyrique de la pièce Christine, la reine-garçon (2012) de Bouchard. La création, qui devait au départ avoir lieu à Toronto durant la saison 2019-2020, a finalement eu lieu à Montréal, la compagnie de la Ville Reine demeurant coproductrice.

C’est cette conjoncture (plus la pandémie) qui nous a donné d’entendre deux opéras par le duo Bilodeau-Bouchard en l’espace d’une quinzaine de mois, La beauté du monde ayant été créée au même endroit en novembre 2022. Michel Marc Bouchard avait pour sa part fait ses premiers pas à l’Opéra de Montréal en 2016 avec une adaptation de ses célèbres Feluettes avec la collaboration du compositeur australien Keven March.

Comme dans ses deux précédents opéras revient comme un leitmotiv l’accès à la culture dans des milieux qui n’y sont pas favorables. La souveraine veut tout savoir, tout connaître. C’est pour cette raison qu’elle fait venir en Suède le philosophe René Descartes, qui allait y mourir quelques mois plus tard.

Comme dans les Feluettes aussi, c’est l’histoire d’amours homosexuelles interdites. La reine Christine aime sa dame de compagnie, la coquette comtesse Ebba Sparre. Mais la raison d’État lui impose de prendre mari. De cela, Bouchard nous explique bien les tenants et aboutissants sans tomber dans une condamnation univoque de cette époque on ne peut plus patriarcale.

Un des moments forts de l’opéra est la démonstration d’anatomie (Descartes prélève sur un cadavre une glande pinéale, supposé siège de l’âme), où chœur, solistes et décors évoquent la splendeur du grand opéra romantique.

Autrement, la mise en scène dynamique d’Angela Konrad et la scénographie contrastée d’Anick La Bissonnière (magnifique escalier au premier acte, qui aurait pu être davantage exploité) enluminent le drame bouchardien.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

La metteure en scène Angela Konrad en répétition, fin janvier

Il y a bien quelques longueurs, surtout la fin quelque peu moralisante, et quelques évocations sexuelles un peu salées de la part des hommes (comme « Ouvre tes jambes et procrée » ou « Je vais te remplir de moi »). Mais l’ensemble émeut et impressionne.

La musique de Julien Bilodeau se moule idéalement au drame, heurtée et complexe dans les passages plus dramatiques (on pense à la Seconde École de Vienne ou à Hindemith), remarquablement simple à d’autres moments, comme cet air de Christine (premier acte) accompagné par un tapis de triolets aux cordes graves, d’un magnifique velouté, mais aussi dans une remarquable économie de moyens (on pense ici aux minimalistes états-uniens).

Certains personnages ont un traitement musical bien marqué, comme le bouffon Comte Johan Oxenstierna du ténor Isaiah Bell (voix claire, bien typée), ou la grinçante Marie-Éléonore de Brandebourg (la reine mère) de la soprano colorature Aline Kutan (en grande forme vocale), sorte de veuve noire au rire sardonique. Autre singularité : le chant suraigu, presque irréel, de la soprano Anne-Marie Beaudette, qui survient à quelques moments des coulisses comme pour rappeler à Christine son destin de liberté.

Le rôle-titre est confié à la soprano libano-canadienne Joyce El-Khoury, toute en contrôle malgré les difficultés manifestes de sa partition, souvent tendue vers l’aigu. La relative aigreur du timbre convient toutefois moins à la rondeur du français hexagonal qu’à la brillance de l’italien (elle chantait Madama Butterfly au même endroit en mai dernier).

On a sinon un Comte Karl Gustav (le cousin prétendant de Christine) de luxe avec le baryton Étienne Dupuis, sur lequel on ne peut tarir d’éloges. La mezzo-soprano Pascale Spinney, ancienne membre de l’Atelier lyrique qui fait maintenant carrière aux États-Unis, émeut en Comtesse Ebba Sparre, la suivante aimée par la reine.

Le ténor Eric Laporte (composition sensible, mais aigus difficiles) et la basse Alain Coulombe complètent la distribution dans la peau de Descartes et son assistant.

Comme pour La beauté du monde, c’est Jean-Marie Zeitouni qui dirigeait la fosse, cette fois-ci avec l’Orchestre symphonique de Montréal.

Ce mardi et jeudi à 19 h 30, et dimanche à 14 h, à la salle Wilfrid-Pelletier

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