La soprano Joyce El-Khoury est acclamée sur les grandes scènes d’Europe. Plusieurs critiques comparent la Libano-Canadienne à Maria Callas et saluent le mélange de vulnérabilité et d’autorité qui se dégage de sa voix. Deux qualités non négligeables pour jouer Christine la Reine-garçon à l’Opéra de Montréal.

À 6 ans, Joyce El-Khoury quittait le Liban pour le Canada. Sa famille était remplie de chanteurs. « Mon grand-père a chanté à l’église durant 35 ans, mon père a une belle voix et ma petite sœur est une chanteuse jazz et soul, mais la musique classique n’avait aucune place chez nous », explique-t-elle.

Le chant lyrique est entré dans sa vie une décennie plus tard. « J’ai commencé mes leçons à 15 ans, mais je ne voulais pas chanter l’opéra. Je trouvais ça tellement plate, parce que je ne connaissais pas ça. Je rêvais d’être une pop star ! Je préférais chanter Whitney Houston, Céline Dion et Mariah Carey. »

Pragmatique, elle avait cependant l’objectif d’étudier à l’université pour devenir infirmière. Jusqu’à ce que son père la fasse changer d’avis. « Un jour, il m’a dit que j’avais un talent unique et que ce serait dommage que je n’étudie pas la musique. D’habitude, c’est l’inverse ! J’avais tellement confiance en mes parents que j’ai pensé qu’ils avaient peut-être raison et j’ai auditionné à l’Université d’Ottawa. »

Non seulement elle a été prise, mais, en plus, elle est tombée amoureuse de l’opéra. Un milieu qui le lui rend bien en la comparant à la Callas.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Joyce El-Khoury

Je comprends [la comparaison] : ma voix est comme une bête sauvage. Maria Callas avait une couleur de voix unique elle aussi.

Joyce El-Khoury, soprano

Les adeptes d’opéra l’ont entendue au printemps dernier dans Madama Butterfly et ils la reverront dans la version opératique de Christine, la Reine-garçon, la pièce de Michel Marc Bouchard qui avait fait un malheur au Théâtre du Nouveau Monde (TNM) en 2012, avec Céline Bonnier dans le rôle-titre.

Inspirée

Si la soprano ignorait tout de la monarque suédoise, l’une des premières figures LGBTQ+ à avoir marqué l’histoire, elle se dit inspirée par sa découverte. « Elle était très avant-gardiste ! Même aujourd’hui, elle serait considérée moderne. À ses yeux, les sentiments qu’elle éprouvait pour une femme, c’était presque un détail. Le problème pour elle, c’était l’amour ! »

En effet, la reine échange avec le philosophe René Descartes pour comprendre le sentiment amoureux. « Elle lui demande comment se débarrasser de cette chose qui la contrôle. Elle dit souvent qu’elle est l’épouse de la Suède, qu’elle se donne à son pays, et elle cherche à s’affranchir de cette tyrannie qu’est l’amour. »

Si le personnage est complexe à interpréter, la partition vocale imaginée par le compositeur Julien Bilodeau l’est tout autant. « L’orchestration est très dense et lourde, affirme-t-elle. On dirait du Wagner, et moi, je ne chante pas ça habituellement. La façon dont c’est composé pour la voix, ça exige beaucoup d’endurance. »

La semaine dernière, la soprano apprivoisait encore les parcours émotionnels de la Reine-garçon.

En répétitions, je pleure tout le long pour dégager cette émotion et me laisser chanter. On exprime l’amour, la haine, la passion, l’intelligence et l’amour pour son peuple. Après un enchaînement, j’étais émotionnellement détruite.

Joyce El-Khoury, soprano

Une fragilité qu’elle juge nécessaire au projet. « Pour raconter son histoire, il faut vraiment ouvrir son cœur et montrer sa vulnérabilité, tout en dégageant une énergie de reine. »

Une reine qui s’habillait comme un homme à l’époque. « Elle voulait porter ce qu’elle désirait, au XVIIe siècle, sans qu’on lui impose rien. J’adore ça ! C’est tellement moderne et LGBTQ+ comme façon d’être. »

Cela dit, la metteuse en scène Angela Konrad n’a pas cherché à surligner l’identité queer du personnage dans l’interprétation de la chanteuse. « C’est déjà dans le texte, dans les costumes et dans sa façon d’agir avec les hommes. Elle était stéréotypiquement masculine, alors j’essaie de me comporter de cette manière. Moi, je peux être tough. Alors il y a des gestes qui sont très naturels. »

Pour découvrir la fougue et la voix de Joyce El-Khoury, c’est à l’Opéra de Montréal que ça se passe.

À la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts les 3, 6, 8 et 11 février

Consultez la page du spectacle