(Milan) Le public de la Scala de Milan a réservé jeudi un accueil triomphal à une magistrale représentation de Don Carlo, opéra de Giuseppe Verdi mêlant luttes pour le pouvoir et drames de la jalousie, qui a ouvert la nouvelle saison.

Temps fort de la vie culturelle italienne, la « Prima » (Première) de la Scala clôt ainsi sa trilogie consacrée aux tourments de la quête du pouvoir initiée en 2021 avec « Macbeth » de Verdi et poursuivie avec « Boris Godounov » de Moussorgski en 2022.

Les artistes, au premier rang desquels la diva russe Anna Netrebko, ont été salués par des applaudissements nourris pendant 13 minutes, de nombreux « bravo ! » fusant dans la salle mythique.

À la baguette, Riccardo Chailly a dirigé avec maestria un opéra qui fait selon lui « du bien à l’âme », pour, le temps d’un spectacle, « mettre de côté ses angoisses ».

À point nommé, l’UNESCO a intégré mercredi le chant lyrique italien à son patrimoine immatériel, une décision saluée par Rome comme la reconnaissance d’une marque d’« excellence mondiale ».

« Don Carlo est l’une des grandes œuvres du répertoire lyrique mondial et en même temps une parabole sur le pouvoir autoritaire qui décrit un dictateur sans foi ni loi et sans vergogne », commente auprès de l’AFP Dominique Meyer, directeur de la Scala.

Cet opéra, inspiré de la tragédie éponyme de Friedrich von Schiller, transporte le public dans l’Espagne du XVIe siècle, en pleine Inquisition instaurée par l’Église catholique pour traquer les « hérétiques ».

L’œuvre reprend les thèmes fétiches de Verdi comme le conflit entre les pouvoirs religieux et royal, la relation entre père et fils et l’oppression des peuples.

« De l’euphorie au désespoir »

La basse Michele Pertusi a incarné Philippe II, roi d’Espagne et père de Don Carlo, qui dirige d’une main de fer un empire immense, mais se montre fragile dans sa vie sentimentale.

Affaibli par un problème de santé annoncé au début du troisième acte, l’artiste a tenu à chanter jusqu’au bout, s’attirant les applaudissements du public.

Les rapports du roi avec Don Carlo s’enveniment après sa décision de rompre les fiançailles de son fils avec la princesse française Elisabeth de Valois pour l’épouser lui-même.

L’émotion est palpable dans la salle lorsque le monarque entonne « Ella giammai m’amò » (Elle ne m’a jamais aimé).  

Dans le rôle-titre, Francesco Meli, considéré comme l’un des plus éminents ténors du répertoire verdien, a convaincu.  

Don Carlo « n’est pas un héros, c’est un homme d’une grande sensibilité qui réagit de manière excessive à tout, passant de l’euphorie au désespoir », relève-t-il.

La soprano Anna Netrebko, habituée de la « Prima » qui a endossé les habits d’Elisabeth de Valois, belle-mère de Don Carlo, a subjugué le public avec sa voix envoûtante.  

La voix d’Elisabeth est « basse, grave, légère et lumineuse à la fois », exprimant « sa solitude, sa tristesse et son grand cœur », explique la chanteuse.

Parmi les scènes clés, l’émouvant duo d’adieu de Don Carlo et Elisabeth qui renoncent à leur amour avec une promesse : « mais là-haut, nous nous reverrons dans un monde meilleur ».

Très applaudis aussi, la mezzosoprano lettone Elina Garanca qui a excellé dans le rôle de la princesse d’Eboli, et le baryton Luca Salsi qui a incarné avec verve Rodrigo, l’ami de Don Carlo.

Toute-puissance de l’Église

La scène est dominée par une tour en albâtre translucide reliée à des grillages, symbole de la toute-puissance de l’Église. Les costumes sont pour la plupart noirs, signe de richesse à l’époque.

L’albâtre, souvent utilisé pour habiller les fenêtres des anciens édifices religieux, « a toujours une odeur d’encens, d’église », explique le metteur en scène, l’Espagnol Lluis Pasqual.

« Le message de Verdi, dont je me sens très proche, est très anticlérical : les religions sont l’une des pires choses que les êtres humains aient inventées », assure-t-il. Et « à la fin, c’est toujours le Grand inquisiteur qui gagne ».

Il n’hésite pas à dresser un parallèle avec la guerre au Moyen-Orient : « tous les jours à la télévision, nous voyons des fondamentalistes de toutes les religions défendre violemment leurs croyances ».

Dans une ambiance oppressante, l’opéra se déroule pendant la guerre de Quatre-Vingts Ans (1568-1648), période de révolte des protestants néerlandais en lutte pour leur indépendance face à l’occupant espagnol catholique.