Crystal Pite et sa compagnie Kidd Pivot sont de retour avec son approche pour le moins singulière de la danse-théâtre, un cycle créatif amorcé il y a quelques années en collaboration avec le dramaturge Jonathon Young. Présenté par Danse Danse, Assembly Hall est sans aucun doute sa proposition la plus aboutie en ce sens, une mise en abîme savamment structurée aux tableaux visuellement époustouflants.

Crystal Pite possède ce talent pour créer des scénographies percutantes, des tableaux en mouvement bien fignolés à l’impact visuel certain. Nul doute, la chorégraphe canadienne au rayonnement international –The Guardian l’a nommée « génie de la danse du 21e siècle », rien de moins – a une fine maîtrise de son art, qu’elle met désormais au service d’une danse-théâtre surprenante, voire dérangeante, lorsqu’on s’y frotte pour la première fois.

Amorcée avec Betroffenheit, puis peaufinée avec Revisor, cette approche donne un électrochoc à un genre qu’on croyait révolu. Ce n’est ni du pantomime, ni un ballet narratif. C’est l’utilisation de la voix et de la parole (préenregistrées, puis « mimées » par les danseurs) comme instrument initiateur du rythme, du mouvement, qui donne lieu à des moments parfois comiques, voire burlesques, mais aussi inquiétants, oniriques. C’est la construction d’une histoire pour ensuite mieux la déconstruire et la propulser de l’autre côté du miroir, là où se lève le voile sur ce qui grouille derrière la surface des choses.

PHOTO MICHAEL SLOBODIAN, FOURNIE PAR DANSE DANSE

Une deuxième scène sert à induire la mise en abîme, jusqu’à flouter les contours du réel.

Mise en abîme à la médiévale

Il y a toujours un peu de politique et une fascination pour l’histoire chez Crystal Pite. Dans Revisor, elle explorait la question de la corruption en s’inspirant d’une farce grinçante écrite par l’auteur russe Nicolas Gogol. Assembly Hall nous plonge dans un univers médiéval. D’abord, rien de bien méchant : un groupe, amateur de reconstitution médiévale, se réunit dans une salle communale pour son assemblée annuelle. Chaque année, ils organisent un évènement, le Quest Fest, mais sa survie est menacée. Voteront-ils pour la dissolution de l’assemblée ? Certains le souhaitent, d’autres s’y opposent farouchement.

À mesure que progresse l’action, les contours du réel se floutent. Assiste-t-on à une reconstitution ou sommes-nous tout à coup entraînés dans une fable tragique, où se rencontrent une belle éplorée par la mort de son amour, un chevalier errant et une assemblée perdue ? Qui faut-il sauver, et comment ?

La scénographie est habile. Une reconstitution de salle communautaire, un panier de basket, deux portes surmontées du signe EXIT, et une scène avec un rideau rouge tiré. C’est sur cette deuxième scène que se déroulent d’abord les « scènes » de reconstitution médiévale. Mais alors que la mise en abîme opère, la frontière entre les deux univers s’efface. Le langage se déconstruit, se répète en boucle, se distorsionne, et les scènes se rejouent, sous un tout nouvel éclairage, dévoilant les forces tapies dans l’ombre, derrière ce qui était en apparence banal.

Est-ce que Dave, devenu chevalier errant dont l’armure se bâtit d’une scène à l’autre, est possédé ou joue-t-il un jeu ? Cette épée de mousse perce-t-elle réellement les flancs ? Crystal Pite joue des codes et nous transporte dans un labyrinthe aux miroirs absolument fascinant.

Ce n’est sans doute pas tout le monde qui adhérera à cette proposition parfois cérébrale, malgré son esthétique très travaillée, voire léchée. Mais on ne pourra pas reprocher à Crystal Pite de marcher dans des sentiers battus.

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Assembly Hall

Assembly Hall

Kidd Pivot

Théâtre Maisonneuve, Jusqu’au 2 décembre

7,5/10