Le festival de musique La Noce allait bon train avant le spectacle de Silverio, le samedi 8 juillet à Saguenay. Durant sa performance, le DJ a embrassé deux festivaliers de force. Après cet incident, les organisateurs ont stoppé la prestation de l’artiste. Quant aux personnes concernées, elles étaient sous le choc. « C’était le fun… avant qu’il me pogne la face », confie Manuel Piron.

Pour clôturer cette édition du festival La Noce, Silverio portait une perruque mal mise, ainsi qu’un complet à paillettes. Sur fond de musique techno, l’artiste mexicain se dénudait de chanson en chanson, jetait ses bières vides sur le sol et crachait parfois sur l’auditoire, à partir d’une petite scène extérieure consacrée aux évènements de fin de soirée.

Manuel Piron et son amie Charlotte Préfontaine assistaient au concert extérieur au premier rang. Les deux festivaliers trouvaient le comportement de Silverio déstabilisant, mais comprenaient qu’il s’agissait d’une performance.

« On voyait que c’était vraiment une ambiance de spectacle et que son personnage, c’est d’être un gars un peu fucké », décrit Charlotte Préfontaine, en entrevue avec La Presse.

Or, après quelques chansons, Silverio est descendu de scène et s’est avancé vers la jeune femme.

[Silverio] m’a pris la tête et il a commencé à me frencher.

Charlotte Préfontaine

Charlotte Préfontaine s’est débattue, mais le DJ a continué de l’embrasser. Malgré les cris de colère des témoins, Silverio s’en est ensuite pris à Manuel Piron. « Il a mis sa langue dans ma gueule », relate le jeune homme.

Les spectateurs qui étaient loin de l’action dansaient encore, mais aux abords des planches, « tout le monde était ébranlé », affirme Charlotte Préfontaine. L’étudiante a ensuite quitté la foule. « Je suis allée pleurer », raconte-t-elle.

Silverio ne s’est pas arrêté là. « Il crachait aussi de la bière sur nous après », rapporte Manuel Piron.

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE SILVERIO

Silverio lors d’un passage sur scène

Le spectacle s’est poursuivi après l’évènement. « Charlotte est partie, mais moi, j’étais en tabarnak, explique Manuel Piron. Je voyais que rien ne se passait et j’étais fâché. »

Manuel affirme avoir alerté un employé du festival. « Mais le plus gossant, c’est qu’il ne savait pas quoi faire », affirme l’étudiant.

Les organisateurs du festival ont finalement arrêté la prestation de Silverio.

Sonalie Hénault assistait également au spectacle. « J’étais en hauteur, donc j’avais une vue plongeante sur tout ce qui se passait, explique-t-elle. J’ai vu que c’est arrivé à deux personnes […]. Il les a prises, il les a tirées et il les a embrassées. » Dans la foule, « les gens huaient, criaient », se rappelle-t-elle.

Juliette Perron, qui accompagnait Manuel et Charlotte au concert, affirme avoir « eu peur » tout au long du spectacle. « [Silverio] a pris Charlotte et il l’a embrassée […]. Tout le monde a figé », décrit-elle.

Dans la commotion qui a suivi, Juliette se rappelle avoir « croisé plusieurs filles en pleurs ».

Pas « les valeurs » du festival

La Presse a tenté de joindre Silverio et son équipe, mais nos demandes sont demeurées sans réponse.

Joint au téléphone, le directeur général du festival La Noce, Fred Poulin, a indiqué qu’il avait réagi « vite et bien » lorsque des festivaliers l’ont averti que Silverio avait embrassé des spectateurs. « On a posé des gestes immédiats dès qu’on a su que c’était arrivé », raconte Fred Poulin.

Quand la musique s’est arrêtée, Fred Poulin est monté sur scène pour expliquer qu’il s’était produit « une situation qui ne représente pas du tout les valeurs de La Noce » et qu’il mettait fin au concert.

En entrevue, le directeur général estime qu’il s’agit d’une « situation qui est assez minime ». Fred Poulin juge qu’embrasser les spectateurs s’inscrivait dans l’esprit de Silverio, qui est connu pour son style excentrique. Après avoir visionné des prestations passées de l’artiste sur l’internet, La Presse confirme qu’il affectionne la provocation d’un goût douteux, comprenant des gestes similaires à ceux décriés par Charlotte et Manuel.

« Mais dans ce cas-là, [les spectateurs] ne se sont pas sentis bien. Donc si quelqu’un ne se sent pas bien dans mon festival, c’est là que j’agis », déclare Fred Poulin.

Un suivi insuffisant

Le lundi 10 juillet, La Noce a relaté les évènements du samedi précédent sur Instagram. « Du support a été offert aux personnes directement impliquées », pouvait-on lire.

SAISIE D’ÉCRAN

Le message de La Noce sur Instagram

Cette affirmation a eu l’effet d’un « petit couteau dans le cœur » pour Charlotte Préfontaine. « Parce que ce n’est pas vrai », déplore-t-elle.

Le directeur de la programmation musicale du festival, Éric Harvey, a appelé Charlotte au lendemain du spectacle, souligne l’étudiante. « Il s’est assuré que j’allais bien, mais au final, ils ne m’ont pas proposé une aide particulière. Ils ne m’ont pas assuré que les choses changeraient. »

« Ils s’en sont un peu lavés. Je ne me suis pas sentie soutenue », ajoute-t-elle.

Pour sa part, Fred Poulin indique que Charlotte et Manuel ont reçu du soutien « tout le week-end ». « On a rencontré toutes les personnes. On s’est assurés d’avoir les faits de l’histoire, d’avoir leur version, de leur parler. »

Charlotte Préfontaine et Manuel Piron nient avoir été rencontrés par les organisateurs après l’évènement.

Un évènement évitable

Les festivals ne sont pas impuissants face aux écarts de conduite des artistes qu’ils invitent, soulignent des expertes en prévention des violences sexuelles.

« Il y a une manière de provoquer et d’être artistique sans commettre des crimes », lance Jordanne Blais-Rochefort, cofondatrice de Scène & Sauve, un organisme de prévention des violences à caractère sexuel en milieu festif.

Jordanne Blais-Rochefort insiste sur l’importance pour les festivals d’appliquer une politique de tolérance zéro en matière de violences sexuelles, et de l’indiquer « noir sur blanc dans le contrat d’embauche des artistes ». Elle déplore que certains organisateurs minimisent les abus perpétrés pendant leur évènement.

On parle d’enfreindre la dignité et l’autonomie corporelle de quelqu’un. C’est grave.

Jordanne Blais-Rochefort, cofondatrice de l’organisme Scène & Sauve

Pour Julie Durand, du Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) du Saguenay, le devoir des organisateurs de festivals n’est pas de prendre en charge eux-mêmes les personnes ayant subi des gestes déplacés. Ils doivent toutefois pouvoir les rediriger aux bons endroits et « créer des partenariats avec les ressources spécialisées », signale l’intervenante sociale.

Pour l’instant, La Noce, un rendez-vous relativement jeune qui n’a vu le jour qu’en 2017, ne collabore avec aucun regroupement qui œuvre en prévention des violences à caractère sexuel. Fred Poulin assure toutefois qu’il compte le faire dès l’an prochain.

Le CALACS du Saguenay a contacté La Noce pour offrir aux organisateurs du soutien lors des prochaines éditions du festival, souligne Julie Durand.

Charlotte Préfontaine et Manuel Piron ne comptent pas porter plainte contre La Noce. La jeune femme affirme avoir « vécu le rêve » durant les trois jours du festival qui ont précédé la prestation de Silverio. Elle espère toutefois que cet évènement servira de « wake-up call [prise de conscience] » au festival.