Plus de 45 ans après Bonjour Huguette et C’est Noël, que n’ont jamais cessé de fredonner les fidèles de Paul et Paul, Claude Meunier lance vendredi l’album western de ses rêves, avec La Famille Denuy, un groupe de musiciens d’élite qui maîtrisent sans farce l’art du vrai bon country. Compte rendu d’une soirée passée en compagnie des cowboys les moins sérieux en ville.

« On se fera une italienne tantôt, juste avant le show », suggère le guitariste Jean-Sébastien Chouinard sur la scène de la salle Claude-Léveillée, alors que ses collègues tentent d’intégrer, pendant le test de son, un nouveau couplet à une chanson qu’ils jouent depuis déjà quelques mois. Et Claude Meunier, qui n’en manque pas une, de s’exclamer sur le ton le plus Claude Meunier imaginable, presque avec la voix de Dong : « Une italienne ? Non, une japonaise ! »

Bienvenue dans l’univers de La Famille Denuy, un groupe fictif créé en 1977 par Paul et Paul, dans lequel Claude Meunier et Serge Thériault ont incarné le temps d’une poignée de chansons parodiques deux bardes pas très futés, Noël et Janvier Denuy.

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Jean-Sébastien Chouinard et Claude Meunier, de La Famille Denuy

Une idée ressuscitée, plus de 45 ans plus tard, à la faveur de ce qu’il convient d’appeler une bromance, née il y a environ un an et demi entre Claude Meunier et Jean-Sébastien Chouinard, un des gars les plus aimés de la communauté musicale québécoise, l’archétype d’un bon diable et d’un bon vivant, qui a notamment joué avec Les Cowboys Fringants, Les Respectables, Daniel Boucher, Lulu Hughes et le Cirque du Soleil.

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Jean-Sébastien Chouinard

Les deux hommes s’étaient retrouvés à la même table grâce à leurs amoureuses, l’animatrice Virginie Coosa et la présidente d’une agence de relations publiques, Marie-Noëlle Hamelin. « Ma blonde dit à Jean-Seb : “Claude fait des chansons”, se rappelle Meunier. Et lui, plutôt que de répondre : “Ah, oui, OK”, il m’a invité dans son studio. Je lui ai chanté le Yoddle du cocu. Et c’est là qu’il a décidé de réunir tout le monde. »

Il y a pire que ça dans la vie

Tout le monde, c’est Pierre Fortin (Croco Denuy), batteur de Galaxie, des Dales Hawerchuk et des Cowboys Fringants, Patrick Lavergne (Tournedos Denuy), bassiste vu aux côtés de Garou et de France D’Amour, Jocelyn Tellier (Doctor Denuy), guitariste de Dumas et de plein d’autres, et le claviériste Gautier Marinof (Gaugau Denuy), un des réalisateurs les plus occupés au Québec, derrière plusieurs des succès de Marc Dupré.

« Gaugau l’éclipsé ! », s’exclame Claude en enlaçant son camarade, qui déboule dans la salle avec un peu de retard. Notre visite coïncidant avec l’éclipse solaire du 8 avril dernier, toutes les déclinaisons de blagues sur le sujet ont évidemment été prononcées.

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Claude Meunier enlaçant Gautier Marinoff

Une heure plus tard, dans leur loge, le même Gaugau déballe les affiches qu’il brandira le soir venu pendant La plus belle chanson du monde, une ritournelle volontairement répétitive, et aliénante, dans laquelle Meunier invite un public perplexe à entonner son refrain en espagnol, en japonais et en allemand, une demande impossible à remplir. « Ça nous coûte environ 200 $ d’accessoires par année », ironise Chouinard en apercevant les pancartes en question.

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Gautier Marinof et ses pancartes

Mais jouer avec Claude Meunier, ça, ça vaut beaucoup plus cher. Pour des gars dans la quarantaine, nouer une amitié avec une telle icône de la culture québécoise tient de l’inespéré et de l’inattendu.

« Je me rappelle, je montais en char avec Gautier faire des tounes au chalet chez Claude, raconte Jean-Sébastien, et je lui disais : “Criss, on s’en va quand même chez Claude Meunier boire du vin, manger des steaks et faire de la musique. Il y a pire que ça dans la vie.” »

En Formule 1

À une autre époque, Claude Meunier a eu l’occasion de partager la scène avec un certain Michel Rivard. « Et j’avais tout de suite compris pourquoi Michel avait choisi de faire de la musique et non de l’humour, souligne-t-il. C’est tellement le fun, chanter et jouer devant du monde. »

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La Famille Denuy en entrevue

Le rêve d’un album western l’accompagnait depuis, mais d’autres petits projets se seront entre-temps imposés (peut-être avez-vous entendu parler des Lundis des Ha ! Ha ! ou d’une série intitulée La petite vie). Meunier a beau être ami avec des membres d’Harmonium, de Beau Dommage et avec Paul Piché, s’adjoindre les services des musiciens d’exception qui forment sa nouvelle famille, il n’aurait pas osé l’envisager. « J’ai apporté des crêpes aux gars et ils en ont fait des gâteaux de noces », résume-t-il.

Il y a des moments dans le show où j’arrête de jouer, juste pour les écouter. Je suis comme un petit cul qui rêvait de faire de la Formule 1 et qui se retrouve avec des pilotes professionnels à faire semblant de chauffer. Je vis ma best life. C’est un band d’amour.

Claude Meunier

Reprendre ce qui lui appartient

« Il y a un mot de temps en temps que je comprends », blague pendant le test de son le légendaire (et anglophone) Rick Haworth, qui remplaçait Jocelyn Tellier le soir de notre visite. Meunier : « Ça tombe bien, moi aussi, je comprends un mot de temps en temps dans ce que je chante. »

Malgré toute cette autodérision, Seul dans ma tombe, premier album de La Famille Denuy, n’est pas tissé que de chansons strictement humoristiques, mais de vraies bonnes chansons country, qui se trouvent aussi à receler des lignes d’un fabuleux comique.

Jean-Sébastien Chouinard, sapé comme le Waylon Jennings des années dorées, passera une bonne partie du spectacle à réprimer ses fous rires, durant les interventions échevelées de Meunier, qui a en ses acolytes un public conquis d’avance.

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Claude Meunier, lors d’une de ses hilarantes interventions

Sans surprise, Seul dans ma tombe ressemble souvent à un album des Trois Accords, ce qui tombe sous le sens, dans la mesure où les quelques chansons de Paul et Paul composaient le répertoire de la première incarnation du groupe, lorsque Simon Proulx et Olivier Benoit jouaient sur la scène de leur école secondaire à Drummondville.

Aujourd’hui, c’est donc comme si Claude Meunier leur reprenait ce qu’il leur avait prêté. Simon Proulx signe d’ailleurs la rockabilly Le nouveau nez, l’histoire d’un pauvre bougre rentrant du Saguenay le pif endommagé.

Extrait de Le nouveau nez, de La Famille Denuy
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On l’entend également sur Yoddle du cocu et sur l’hawaïenne Notre chien est mort, récit d’un amour qui sent le cabot mouillé. Parmi les autres moments forts : Shake ton bayou, un zydeco qui fait rimer les mots gombo et risotto, Crazy de toi, écrite pour Roy Orbison, disparu « des années avant qu’on ait composé cette chanson spéciale pour lui », et Hymne de l’Ancien-Brunswick, la province fictive dont est originaire La Famille Denuy.

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La Famille Denuy en spectacle

Daniel Boucher leur a quant à lui offert Ma Sandra, un slow country dans lequel un autre pauvre bougre plaide le malentendu au sujet d’une infidélité, une pure fiction à n’en point douter. Marie-Annick Lépine, Sara Dufour et Mara Tremblay figurent aussi sur la liste des invités.

Un moment intense avec Serge Thériault

Oui, Serge Thériault, l’inséparable bien qu’élusif partenaire de Claude Meunier, est aussi présent, choriste de luxe dans Bonjour Huguette et C’est Noël.

« On a fait écouter à Serge les tounes et il y en a une aussi absurde que les autres, mais un peu plus sérieuse », explique Chouinard en parlant de la pièce-titre de Seul dans ma tombe, dans laquelle un défunt se désole, de l’au-delà, de ne pas avoir suffisamment goûté à sa vie.

Extrait de Seul dans ma tombe, de La Famille Denuy
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Un homme et son chapeau

Une chanson faisant forcément écho au quotidien reclus de Thériault : « J’aurais donc dû vivre ma vie/au lieu de mariner dans l’ennui/j’aurais donc dû, j’aurais donc dû/aujourd’hui je marine dans mon jus. »

Serge était en arrière de la console, les bras croisés, et à un moment donné, pendant cette toune-là, il s’est mis à pleurer et il est sorti du studio. C’était un ostie de moment.

Jean-Sébastien Chouinard

Claude devient soudainement plus sérieux. « Ç’a été un moment ben intense, oui. »

« Mais c’est quand Serge est venu qu’on a vraiment vu le ti-cul Claude Meunier, se souvient Chouinard. On avait sous les yeux deux vieux potes qui ne s’étaient pas vus depuis longtemps, émus de se retrouver. Claude riait et Serge avait sa petite face de malcommode. »

« La vie est si fragile/et la mort inutile », chante Claude Meunier dans Seul dans ma tombe, rappelant que l’existence demeurera toujours plus absurde que son humour. On ne peut pas faire plus country.

La Famille Denuy est en spectacle à la salle Claude-Léveillée de la Place des Arts ce jeudi, 20 h.

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