Le solo de Mike McCready dans Waiting for Stevie justifie à lui seul l’existence de Dark Matter, le douzième album de Pearl Jam.

« Andrew voulait créer un croisement entre Vs. et Badmotorfinger », a confié au magazine Spin le guitariste de tournée de Pearl Jam Josh Klinghoffer, une référence à deux classiques du début de la décennie 1990, l’un de la bande à Eddie Vedder et l’autre de Soundgarden.

Et comme Vs. [1993], qui s’ouvrait sur deux coups de poing (Go et Animal), Dark Matter part la pédale au plancher, avec Scared of Fear et React, Respond, d’exaltants, bien que prévisibles brûlots que le feu d’artifice de guitare de Mike McCready viendra pour de bon arracher à la banalité, le rock générique demeurant la bête noire de la formation de Seattle. Une bête qu’elle parvient généralement à dompter sur ce 12album.

Personne n’était aussi prêt à superviser l’enregistrement d’un disque de Pearl Jam qu’Andrew Watt. Fan dévoué du groupe depuis l’enfance, le réalisateur a déjà tenu une pancarte suppliant Eddie Vedder de le laisser monter sur scène pour jouer le solo d’Alive. Il avait alors 12 ans.

Deux décennies plus tard, à 33 ans, le bâton de vieillesse de plusieurs icônes du rock gériatrique applique aux survivants du grunge la méthode récemment employée auprès des Rolling Stones, d’Iggy Pop et d’Ozzy Osbourne, des géants qu’il a su ramener à leur fougueuse essence, à leur identité fondamentale.

Après le laborieux Gigaton (2020), courtepointe (dé)cousue à partir de deux tonnes de démos fournis par chacun des cinq membres du groupe, il n’y avait pas plus salutaire ambition que de simplement tenter de soutirer à Pearl Jam un bon disque de Pearl Jam, point barre, en laissant ses membres jammer dans la même pièce.

Dark Matter contient ainsi au moins trois grandes chansons, à commencer par l’étincelante Wreckage, comme si Tom Petty avait voulu pondre une réplique à Better Man, et Upper Hand, la plus flagrante tentative de réécriture de Yellow Ledbetter (1991) depuis Yellow Ledbetter.

À l’instar de tout ce à quoi touche Andrew Watt, un paradoxe ankylose néanmoins cet album, qui sonne comme du bon vieux Pearl Jam, mais sur lequel le réalisateur, fidèle à sa mauvaise habitude, a tenu à appliquer un stérile vernis moderne (et donc condamné à mal vieillir). Une décision qui permettra aux vétérans de s’insérer sans jurer dans la programmation de nombre de radios rock, mais qui étouffe la rugosité d’une musique dont la force se manifeste beaucoup dans ses aspérités.

Dark Matter pourrait n’être composé que de chansons médiocres (ce qui n’est vraiment pas le cas) que son existence demeurerait justifiée grâce à Waiting for Stevie. Construite à partir d’une ébauche créée durant l’enregistrement du plus récent album solo d’Eddie Vedder, alors qu’Andrew Watt et lui tuaient le temps en attendant la venue en studio de Stevie Wonder, ce morceau de bravoure pourrait ressembler à du Pearl Jam à numéros si chacun de ses membres n’y offrait pas le meilleur de lui-même.

Le batteur Matt Cameron, deuxième étoile de l’album, y brille tout particulièrement et s’agite comme si personne ne l’avait mis au courant qu’il ne joue plus dans Soundgarden, pendant que Mike McCready, la première étoile, n’attend que le bon moment pour tout arracher.

Eddie Vedder y promet quant à lui qu’il existe encore de l’amour en ce bas monde, une autre manière de dire que son groupe est encore, et peut-être plus que jamais, en vie.

Extrait de Waiting For Stevie

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Dark Matter

Rock

Dark Matter

Pearl Jam

Monkeywrench Records

7,5/10