Dans L’écho des perles, Corneille recycle ses chansons méconnues dans un nouvel enrobage de sonorités africaines. « Je suis dans l’écologie artistique ! », s’amuse le chanteur aux multiples facettes, qui a vécu le pire, mais qui a décidé depuis longtemps de parler du beau.

Le mutant

Le hasard a voulu qu’on rencontre Corneille en début de semaine, alors que les 30 ans du génocide rwandais venaient d’être soulignés partout. On ne pouvait faire autrement que de lui parler de ce triste anniversaire. « Trente ans, c’est vertigineux. J’ai l’impression que c’est très loin dans le temps », dit Corneille, qui a fui le Rwanda à l’âge de 17 ans, mais qui se sent toujours « proche » de ses souvenirs de jeunesse. Même s’il vit avec la peur de les oublier. « Est-ce qu’on finit par oublier d’où on vient ? C’est la grande question que je me pose. Parce que quand on vit longtemps dans un autre endroit, une nouvelle identité émerge. Moi, j’aime dire qu’on mute. » Face aux regrets et aux mea culpa qu’on a entendus beaucoup de la part de la classe politique ces jours-ci, il est plus cinglant. « Longtemps j’ai trouvé ça frustrant, là je trouve ça juste niaiseux. On est là à dire : on aurait pu faire ça… mais on peut encore faire des choses, à d’autres endroits, et on ne le fait pas ! Et dans 20 ans, on dira : ah, on aurait donc ben dû. »

L’album

Quand Corneille s’est mis à penser à ce qu’il avait envie de dire dans son nouvel album, il s’est rendu compte… qu’il avait déjà écrit tout ça. « Le monde ne change pas, et mes préoccupations sont les mêmes. Alors peut-être qu’il faut redire les mêmes choses. » Plutôt que de recommencer à zéro, il a puisé parmi son vaste répertoire les chansons qui sont « passées sous le radar », mais qu’il trouvait toujours éloquentes, « claires et profondes ». « J’ai 150 chansons, et les 150 n’ont pas été entendues. Fais-moi la paix, par exemple, écrite en 2012, elle dit exactement ce que je veux dire et personne ne s’en souvient. Pourquoi en écrire une autre ? » La pertinence des textes a été le critère principal de sélection, mais il ne voulait pas faire un album « comme il y a 15 ou 20 ans ». Il en a alors complètement changé le « packaging » en l’habillant de rythmes et de sons afro, une musique qu’il voit se répandre partout en Occident depuis au moins 10 ans. « C’est la musique de la diaspora africaine en dehors de l’Afrique. Une musique de mutants ! » Il l’avait effleurée sur chacun de ses albums, cette fois il a senti que c’était le temps d’y aller à fond. « Je me suis payé la traite. »

Extrait de Fais-moi la paix, de Corneille
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La durée

Récemment, sa chanson Avec classe, qui figurait sur son premier album paru en 2002, et été remixée par le duo de DJ français Trinix. Cette nouvelle version, dans laquelle il partage les couplets avec Aya Nakamura, a connu un succès foudroyant, avec près de 13 millions d’écoutes en continu en à peine deux mois. « Je savais qu’Aya Nakamura avait l’habitude de reprendre ma chanson en spectacle, qu’elle faisait partie de son ADN. Quand Trinix a sorti la reprise sur les réseaux sociaux, je l’ai appelée, et on a décidé de faire ça de façon officielle. Comme ma voix datait d’il y a 20 ans, j’ai réenregistré ma partie, et voilà ! La spontanéité explique peut-être ce succès, mais je ne m’y attendais pas du tout. » Savoir qu’il a eu de l’influence sur la chanteuse la plus écoutée de la francophonie, ça doit aussi faire un petit velours ? Oui, répond spontanément le chanteur de 47 ans. « Je rencontre des jeunes de 20, 25 ans qui me disent “ma mère était et est toujours fan”. Ils me disent aussi “j’ai grandi en écoutant ta musique”. Je trouve ça touchant : la musique que j’écoutais avec mes parents et que je n’avais pas nécessairement choisie, c’est le décor de moments précieux. J’adore faire partie des meubles de ces foyers-là. Ça donne du sens à mon métier. »

Extrait d’Avec classe, de Corneille (avec Aya Nakamura et Trinix)
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L’influence

Quand Corneille a collaboré avec Les Louanges sur sa chanson Crash il y a deux ans, le public et les médias ont commencé à le regarder autrement, raconte-t-il. « Des points se sont connectés. Les gens ne comprenaient pas trop, mais en observant la chose, ça avait du sens. » Un des liens entre les deux artistes est certainement le R&B, dont Corneille est un ardent défenseur : il fait d’ailleurs partie de ceux qui ont contribué à la création de la nouvelle catégorie « R&B, soul et gospel » instaurée par l’ADISQ. « C’est une réponse à une frustration, je dirais même une tristesse, que j’ai depuis 20 ans, de voir que le seul gala du Québec n’avait pas de catégorie pour moi. Même si on ne fait pas ça pour les trophées, ça donne une légitimité. » Il a aussi fondé il y a peu de temps sa propre maison de disques, Maison Kanda, où il fait de la place à des artistes qui partagent ses codes musicaux. « Il y a encore beaucoup de choses qu’on peut faire en français », souligne-t-il. Corneille, influenceur ? Il n’est pas certain du choix de mot, mais « si l’influence est positive, je le prends », dit-il.

La mission

« Piégé » par la popularité de sa chanson avec Aya Nakamura, Corneille caresse le projet de refaire l’exercice avec tous ses grands succès. La tournée attendra donc à 2025, d’autant plus qu’il se concentre en ce moment sur sa nouvelle maison de disques. Pour L’écho des perles, il souhaite que les gens écoutent les textes, qu’ils dansent « autour des barbecues et dans les fêtes de famille », et « que ce son-là devienne de plus en plus familier ». « Cet album tombe au bon moment dans ma vie… et dans la vie ! Les gens sont plus sensibles à certains propos qu’avant », avance Corneille, qui depuis toujours préfère chanter le beau et le positif. « Pas besoin d’imagination pour voir le négatif ! Ma job comme artiste est de peindre un monde où on embellit les choses un peu. » Pas pour rien qu’il s’est donné comme mission de bâtir le plus de ponts possible. « Ça vient de mon trauma, et avec le fait d’être mutant, justement. Je ne sais pas si c’est toujours sain, mais je suis obsédé par cette idée de ponts. Parce que je sais ce que ça coûte de ne pas en créer, parce que j’ai vu ce que ça fait. Si je veux en bâtir, c’est parce que je les pense possibles. »

Extrait du Bar des sentimentalistes, de Corneille
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