Dans Entre le meilleur et le pire, un artiste revisite, une chanson ou un moment à la fois, les sommets et les vallées de son œuvre. « Je n’ai pas d’ego », annonce d’emblée le principal auteur-compositeur des Cowboys Fringants, Jean-François Pauzé, dont le groupe est nommé trois fois dimanche soir au Gala de l’ADISQ.

La chanson dont tu es le plus fier

L’Amérique pleure, parce que j’étais très content après 25 ans de carrière de toucher les gens de façon aussi exceptionnelle, de cerner l’époque dans laquelle on vit, sans entrer dans la dénonciation. Au départ, je voulais faire une chanson avec notre personnage de JP Labrosse. Un peu plus tad, en 2015, on a failli en sortir une version sur Octobre, mais elle n’était pas prête. J’ai complètement changé la mélodie. L’écriture, pour moi, c’est quelque chose de difficile. Je travaille, je bûche.

C’est aussi une fierté qu’une chanson-fleuve ait tourné à la radio. J’étais de ceux qui proposaient de la raccourcir et tout le monde me disait : « Non, touche à rien. » Je pense qu’ils avaient raison.

Ta pire chanson

En attendant [2004], une espèce de rock un peu cheesy avec un bout reggae au milieu. Le texte se voulait une dénonciation des libéraux de l’époque, je reprenais le slogan Nous sommes prêts. Pour te dire à quel point ç’a mal vieilli : ça parle de réingénierie de l’État. On avait un forum de discussion des Cowboys à l’époque et il y avait des gens qui me reprochaient après Break syndical [2002] de critiquer, sans apporter de solutions. Je m’étais donné comme mission de trouver des solutions à travers des chansons et c’était épouvantable.

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Les Cowboys Fringants aux Francos en 2003

Le Félix qui t’a fait le plus plaisir

De gagner le Félix de la Chanson de l’année à 15 ans d’intervalle pour Les étoiles filantes [2005] et L’Amérique pleure [2020], c’était cool. Ça te confirme que tu n’es pas un has been, que tu peux encore être pertinent. On était aussi fiers d’avoir gagné dans la catégorie Spectacle auteur-compositeur-interprète en 2003, parce que le show, pour nous, c’est important.

Et, non, je n’ai jamais été nommé dans la catégorie Auteur ou compositeur de l’année. Chaque année, c’est le même running gag au sein du groupe, on m’appelle Bredouille Pauzé. Mais je prends ça avec un grain de sel. On ne peut pas tout avoir.

Votre rencontre la plus mémorable lors d’un party d’après-gala

À un moment donné, Kevin Parent était venu nous voir. Il était assez chaud, on ne lui avait jamais parlé et il voulait absolument faire du tir au poignet avec Karl. Karl l’avait couché en une seconde.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Les Cowboys Fringants en 2014

Ta chanson la plus bizarre

Je reviens souvent à l’album Les nuits de Repentigny [2021], qui est un ramassis de conneries et de fonds de tiroir. Il y a une chanson là-dessus, Le p’tit Tommy, qui parle d’un psychopathe en devenir qui fait du mal à des petits animaux alors qu’il a une job de jour dans une quincaillerie. Celle-là est vraiment weird, surtout que mon fils qui avait 6 ans était venu chanter dessus.

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La chanson des Cowboys Fringants que préfèrent les chansonniers

Comme je ne suis pas super connu, ça m’est souvent arrivé d’aller me filmer dans un bar à côté d’un chansonnier qui joue Le shack à Hector et qui me reconnaît fuck all. Mais en fin de semaine, je suis allé dans un bar et il y avait un chansonnier d’à peu près 19 ans qui est venu me voir et qui m’a demandé : Monsieur Pauzé, est-ce que ça vous dérangerait que je joue une toune des Cowboys ? C’est rendu que les chansonniers m’appellent monsieur.

Ta chanson qui t’émeut le plus

L’hiver approche me donne un frisson chaque fois, parce que je n’avais vraiment pas une cenne à l’époque, les factures s’accumulaient pour vrai. Je l’ai écrite dans un sentiment d’urgence. Avec cet album-là [Break syndical, 2002], ça passait ou ça cassait. Quand on l’a jouée avec l’OSM, j’étais incapable de ne pas avoir les larmes aux yeux à la fin.

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PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Karl Tremblay avec l’OSM en 2018

La meilleure performance vocale de Karl Tremblay

Karl est un interprète sous-estimé. On était en studio récemment avec Gus van Go [réalisateur attitré des Cowboys depuis 2015] et il nous disait que Karl est un des cinq meilleurs chanteurs avec qui il a travaillé. N’importe quelle chanson que tu lui mets dans la bouche ne sera pas quétaine. Sur les premières chansons du spectacle avec l’OSM, quand il est seul à l’orchestre, il chante en criss. Les gens de l’orchestre le lui avaient dit.

La meilleure chanson des Cowboys Fringants que tu n’as pas écrite

J’aime beaucoup Pub royal, écrite par Karl. Le texte est bien ramassé, bien ficelé, il y a deux, trois phrases dont je suis jaloux, comme « Y reste toujours au fond d’elle/des tiroirs qui ferment pas bien/qui, tous les jours, lui rappellent/qu’on est bien seul sur le chemin ». Karl n’est pas un gros producteur de chansons, mais celles qu’il a sorties sont tout le temps belles.

Le monologue le plus drôle durant Awikatchikaën

[Karl, sur scène, a longtemps eu l’habitude d’improviser un monologue au milieu d’Awikatchikaën. ]

Quelque part en 2002 ou 2003, en tournée en Abitibi, Karl avait improvisé un monologue où il parlait des villages de Rapide-Danseur et Rapide-Sept, d’un esprit qui hantait ces villages. Je me rappelle qu’il s’était mis à danser super vite. Jérôme [Dupras, bassiste] et moi, on était à genoux tellement on riait. C’était du calibre de Louis-José Houde ou de Mike Ward.

Mais dans un autre registre, il y a aussi la fois au Festival des montgolfières de Saint-Jean-sur-Richelieu où Karl est monté sur une dizaine de chaises empilées avant de tomber dans un moniteur. Ou celle Chez Maurice à Saint-Lazare où il s’est lancé dans le public à partir du deuxième. Ou la fois où il avait pris un de nos amis qui ressemble à Wilfred LeBouthillier et qu’il lui avait fait une souplesse dans la foule. Tout le monde avait attrapé notre ami, personne n’avait attrapé Karl.

Votre pire spectacle

C’était à Kelowna en Colombie-Britannique, il y a une dizaine d’années. On était entre deux tournées, mais on avait accepté juste pour avoir l’occasion de passer du temps ensemble. Karl avait bu quelques Canadian de trop dans l’avion. Marie-Annick, qui était enceinte, était en tabarnac. En arrivant là-bas, on a compris qu’on avait traversé le Canada pour donner un show dans un café devant une centaine de personnes qui ne nous connaissaient pas vraiment.

Juste pendant 8 secondes, Karl s’est trompé au moins huit fois, mais Jérôme et moi, on s’est trompés dans toutes les tounes. Quand on est sortis de scène, Marie-Annick nous traitait d’incompétents, de pas responsables. On avait fini ça au casino de l’hôtel, où une bière s’est transformée en plusieurs. On repartait à 6 h le lendemain et Jérôme a manqué son vol.

Aujourd’hui, tout le monde en rit.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

Au Centre Bell en novembre 2021

Votre meilleur spectacle

Il y a un spectacle à la fin de notre série au Centre Bell en 2021, un samedi soir, où on s’est dit en sortant de scène que c’était notre meilleur show à vie. Le public était complètement au diapason, on avait été solides, on avait donné deux ou trois rappels de plus.

Le dernier Festival d’été de Québec, c’est sûr que c’était quelque chose de spécial, mais je ne le mettrais pas dans les meilleurs, parce que j’aurais préféré qu’il y ait 25 000 personnes de moins et que mon chum soit en forme.

La phrase tirée d’une de tes chansons qui te représente le mieux

Le refrain d’Octobre : « Et octobre vient de passer en coup d’vent/une autre année où je n’ai pas pris le temps/de voir l’automne s’effeuiller tranquillement ». Chaque année, je me dis que je vais aller plus souvent au chalet et je n’y vais pas, je ne prends pas le temps de m’arrêter. Mais est-ce qu’on veut vraiment s’arrêter ? Est-ce qu’on veut passer sa vie à boire du thé et à regarder la forêt ou est-ce que ce n’est pas mieux de profiter de tout le reste ?

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