« Nous sommes sortis de Juilliard avec un ‟immense” répertoire de deux quatuors de Bartók et un de Beethoven », ironise en riant le violoniste Philip Setzer, membre fondateur du célèbre Quatuor Emerson, qui tire sa révérence cette année après près de 50 ans et une pléthore d’enregistrement primés. L’ensemble se produira à la salle Bourgie ce mardi soir avec le violoncelliste Denis Brott (dans le Quintette à cordes en do majeur, D. 956, de Schubert) et le pianiste Jan Lisiecki (dans le Quintette avec piano no 2 en la majeur, opus 81) dans le cadre du Festival de musique de chambre de Montréal.

C’est l’an dernier que la nouvelle de la dissolution du Quatuor Emerson a été annoncée. Pouvait-il en être autrement ? Formé en 1976 à New York, l’ensemble étoile, qui a essentiellement gardé le même noyau depuis, sauf en ce qui concerne le violoncelliste David Finckel, remplacé en 2013 par Paul Watkins, est arrivé à un moment où ses membres ont atteint un âge où la moyenne des gens profitent déjà depuis longtemps de leur retraite. Philip Setzer, qui continuera d’enseigner le violon et la musique de chambre au Cleveland Institute of Music et à l’Université Stony Brook de New York, est d’ailleurs fier de dire qu’il deviendra grand-papa cet été.

Si certains ensembles réussissent avec un relatif succès à conserver l’excellence avec des musiciens différents, d’autres y perdent aussi leur âme. D’où l’idée de tirer un trait sur les Emerson pendant qu’ils figurent encore au panthéon des formations de musique de chambre.

Après avoir joué au Club musical de Québec en octobre (durant la soirée électorale…), les Emerson donneront leur dernier concert à Montréal mardi, avant de se diriger au Domaine Forget le 14 juillet pour un programme pour quatuor seul.

Leur tout dernier récital, donné les 21 et 22 octobre au Lincoln Center de New York, reprendra le Schubert, un chef-d’œuvre crépusculaire qui permettra de manière très à propos d’inclure David Finckel, en plus du Quatuor no 13 en si bémol, opus 130, et de la Grosse Fugue, opus 133, deux œuvres écrites dans les derniers temps de Beethoven. Un évènement qui prendra donc des allures testamentaires.

Philip Setzer se dit heureux de passer le flambeau à la prochaine génération des quatuors Escher, Calidore et autres, des ensembles que lui et ses collègues ont contribué à former. Mais les défis sont pour eux nombreux.

PHOTO FOURNIE PAR IXION COMMUNICATIONS

Philip Setzer

Quand on a commencé, il y avait peut-être 10 ou 15 quatuors aux États-Unis. Maintenant, tout le monde veut en faire. C’est difficile, car il n’y a pas tant d’occasions pour gagner sa vie avec ça.

Philip Setzer

Cela dit, tout n’était pas rose pour un jeune ensemble de musique de chambre dans les années 1970. Il se souvient des premières tournées effectuées avec Emerson, chaque concert payant aussi peu que 1000 $ pour tout le quatuor, incluant toutes les dépenses. « Larry Dutton a dit une fois que si sa mère n’était pas venue le chercher à l’aéroport, il n’aurait pas fait un sou » au terme de la tournée, raconte M. Setzer.

Les jeunes Emerson ne partaient toutefois pas de si loin, ayant eu la chance de recevoir les précieux conseils des membres du légendaire Quatuor Juilliard au sein de l’école du même nom, en particulier de son premier violon Robert Mann.

Ils ont également pu, de manière plus informelle, être aidés par des membres des non moins iconiques quatuors Guarneri et Borodine. Philip Setzer se souvient d’avoir joué l’opus 129 de Beethoven au violoncelliste David Soyer, des Guarneri, qui habitait tout près de Lawrence Dutton à New York.

PHOTO TIRÉE DU SITE INTERNET DU QUATUOR

Philip Setzer, Eugene Drucker, Paul Watkins et Larry Dutton

« On a joué le premier mouvement et il a dit : “C’est très bien, mais dites-moi ce qui arrive au début”. Gene [Drucker] commence à expliquer plein de choses compliquées. À la fin, Sauer dit : “Ce n’est pas ensemble. Pourquoi ne jouez-vous juste pas juste ensemble ?” Le point est que parfois, on réfléchit trop », rapporte Setzer en riant.

« Nous avons appris beaucoup grâce aux enregistrements, ajoute-t-il. Nous avons eu la chance de commencer au début du CD. Deutsche Grammophon voulait quelque chose de nouveau au moins chaque année et il voulait de gros trucs. » Se sont naturellement enchaînées les intégrales, maintenant classiques, des quatuors de Bartók, Beethoven, Chostakovitch et autres.

« On a vraiment appris comment enregistrer, ce qui est vraiment différent de jouer en concert. Les micros sont plus proches, pour capter les détails, car nous ne voulons pas d’un son général comme si on était assis en arrière d’une église. C’est comme la différence, pour un acteur, entre jouer pour la scène ou dans un film », explique le violoniste, qui laisse pour la suite du monde une riche « cinématographie » à laquelle se ressourcer.

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