Le quatuor vedette du Festival de musique de chambre de Montréal de cette année tire son nom du philosophe états-unien Ralph Waldo Emerson, grande figure du transcendantalisme. Ses musiciens ont bien mis à profit sa leçon en faisant de leur concert de mardi soir un véritable pont vers un autre monde.

Le Quatuor Emerson en était à son deuxième et avant-dernier concert d’adieu au Québec. Le premier avait eu lieu au Club musical de Québec en octobre 2022, et le dernier se tiendra au Domaine Forget de Charlevoix le 14 juillet.

Dans la métropole, les membres du quatuor étaient accompagnés de deux invités : le violoncelliste – et fondateur et directeur du festival – Denis Brott dans le Quintette pour cordes en do majeur, D. 956, de Schubert, et le jeune prodige albertain Jan Lisiecki dans le Quintette avec piano no 2 en la majeur, opus 81, de Dvořák.

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Le violoncelliste Denis Brott

Malgré le calendrier classique montréalais chargé (notamment l’opérette L’adorable Belboul de Massenet au même moment au Festival Classica), la salle Bourgie était pleine pour entendre une dernière fois ces géants de la musique de chambre, qui joueront pour la dernière fois ensemble à New York en octobre après presque 50 ans d’existence. Un public exceptionnellement attentif qui, chose rare maintenant, n’applaudissait pas entre les mouvements.

Il fallait être là pour voir le regard exceptionnellement long et soutenu que se sont adressé les musiciens avant de se lancer dans le quintette de Schubert, le type de regard qu’on fait avant d’annoncer une très bonne nouvelle. Le premier accord, d’un piano d’une concentration sans pareille, était à l’avenant. Le reste aussi.

Il existe un enregistrement de l’œuvre réalisé il y a 30 ans chez Deutsche Grammophon par les Emerson avec Rostropovitch, excusez du peu. Une belle réalisation, mais marquée par un hédonisme sonore bridant quelque peu le naturel du discours.

C’est heureusement tout autre chose en concert. Il est entendu que bien de l’eau a coulé sous les ponts depuis l’enregistrement, mais il y a aussi l’avantage du direct, qui fait prendre plus de risques aux musiciens.

Le tout est d’une souplesse féline, notamment le magnifique deuxième thème du premier mouvement Schubert, juste assez retenu. Dans le mouvement suivant, on goûte au contraire l’intensité électrique créée par les croches répétées au violon II et à l’alto.

On est d’ailleurs loin du « son Emerson » cultivé sur disque. D’abord à cause de l’acoustique, asséchée par le nombre record de spectateurs, notamment ceux du balcon, où les bancs en bois ajoutent habituellement une certaine réverbération.

Mais aussi à cause des conditions habituelles du concert, notamment la fatigue. L’intonation à la fin de la soirée, mais aussi de la première partie, en pâtit, et c’est tout à fait normal.

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Il y a aussi les prestations individuelles des musiciens. « Bébé » du quatuor (il a remplacé David Finckel il y a 10 ans), le violoncelliste Paul Watkins charme par sa sonorité généreuse, en particulier dans le premier mouvement du quintette de Dvořák, mais aussi par son engagement. L’altiste Lawrence Dutton n’est pas loin de la perfection aussi dans ses interventions en solo dans le mouvement suivant.

Mais Philip Setzer, qui occupe la position de premier violon pour les deux œuvres, déçoit davantage avec une sonorité un peu plus précaire. Nous en avons la confirmation lorsqu’il change de place, pour le rappel tiré des Cyprès de Dvořák, avec son collègue Eugene Drucker, au jeu plus assuré.

Il est évidemment plus difficile de juger de ce qu’a fait Brott, guère à découvert dans Schubert, que de la contribution de Lisiecki dans Dvořák. Le Petit Prince du piano, qui reste constamment à l’affût de ce que font les Emerson, émeut par la poésie de son jeu, sur un Steinway dont la sonorité nous a semblé inhabituellement feutrée.