Le 13 mars 2020, alors que le Québec se confinait pour la première fois, le violoncelliste Denis Brott avait de l’avance sur la plupart d’entre nous : récemment rentré d’une tournée en Europe, il faisait déjà 40 degrés de fièvre et commençait la pire traversée de sa vie. Une COVID-19 d’avant les vaccins, avec toutes les complications possibles, y compris un coma artificiel et une intubation de plusieurs jours.

Deux ans plus tard, alors que Denis retrouvait tout juste son niveau de jeu au violoncelle après une longue réadaptation, Boris Brott, son frère chef d’orchestre, mourait subitement à Hamilton, victime d’un délit de fuite.

La voix de Denis Brott craque au bout du fil : « C’est tellement violent comme fin : ça arrive dans un film… ou à quelqu’un d’autre ! Je ne vis toujours pas bien avec sa mort. Il était en pleine forme, en pleine possession de ses moyens. La logique aurait été l’inverse : on lui avait dit de ne pas espérer, quand j’étais aux soins intensifs. »

Mais Denis est là, reconnaissant de vivre à plein son Festival de musique de chambre de Montréal. Il a créé ce rendez-vous il y a près de 30 ans, inspiré par des souvenirs de jeunesse liés à ses parents, Alexander et Lotte Brott, tous deux musiciens. « Ils organisaient des concerts sous les étoiles au chalet de la Montagne dans les années 1960, c’était magique. J’avais rencontré le maire Pierre Bourque, je l’avais convaincu de nous laisser réinvestir le chalet pour des concerts : ça a connu un grand succès, pendant dix ans. Après un changement politique, c’est devenu impossible d’y rester, hélas. »

Fini le chalet sur la montagne, mais pas le Festival de musique de chambre de Montréal, à l’affiche jusqu’au 18 juin à la salle Bourgie et à la Maison symphonique, présentant 65 artistes au total cette année.

Denis Brott a créé ce festival après avoir quitté le Quatuor Orford : « Je m’ennuyais de la musique de chambre, qui crée des liens spéciaux. Il faut qu’il y ait de l’amitié, au moins autour de la musique, on ne peut pas jouer avec colère, avec indifférence ou dans un régime militaire : la musique de chambre, c’est une démocratie en action. »

Cette attitude ouverte et tolérante est même un critère de sélection des musiciens qui sont invités au Festival.

Ce mardi soir, le fondateur et directeur s’offre un moment d’exception : il ajoutera son violoncelle au légendaire Quatuor Emerson pour interpréter le sublime Quintette en do de Schubert.

« Je connais depuis 50 ans les deux violonistes du Quatuor Emerson, Eugene Drucker et Philip Setzer : on s’est rencontrés tout jeunes, au festival de Marlboro. On nous avait fait jouer avec un pianiste de 90 ans. »

Ce mélange de jeunes musiciens et de vieux sages est bon pour tous, et Denis Brott en a adopté la formule à Montréal. « Les stars ne viennent pas seulement jouer en one night stand ! On les mêle à d’autres groupes, on crée des rencontres, par exemple celle des New-Yorkais du Quatuor Isidore avec le pianiste canadien Philip Chiu, le 17 juin. »

La veille, ce jeune et remarquable Quatuor Isidore aura offert l’opus 132 de Beethoven, avec lequel il a remporté le premier prix du réputé concours de Banff en 2022.

Le festival s’ouvrait dimanche avec un concert rassemblant huit violoncellistes, et présente aussi des récitals mettant en vedette Elinor Frey, star du violoncelle baroque, et Noémie Raymond-Friset, violoncelliste qui est aussi directrice des opérations pour le festival. Pourquoi tant d’amour pour cet instrument ?

« Chaque instrument représente la voix de la personne qui joue, il est notre porte-parole. Mais personnellement, j’aime le nombre de rôles différents que le violoncelle peut jouer : le solo brillant, la musique de chambre, l’accompagnement. Un miroir des différents rôles qu’on tient dans la vie. Un musicien doit se mettre dans l’époque, dans l’émotion, comme un acteur, s’adapter et adopter chaque rôle. »

En terminant, je demande à Denis Brott si son lien avec la musique a contribué à lui sauver la vie, en 2020. « Je suis passionné, il n’était pas question de ne pas guérir. Je suis ému de dire que le violoncelle m’est revenu, j’ai retrouvé ma voix. Je dois continuer de m’entraîner, de me remettre, c’est physiquement exigeant. En plus, comme pour tout le monde, le combat contre la vieillesse s’applique aussi au jeu instrumental. »

Il a aussi dû surmonter un phénomène dont on a peu parlé : les médicaments provoquant le coma artificiel ont créé chez lui des cauchemars violents qui se sont prolongés dans le temps. « Pendant des mois, je me réveillais en criant. J’ai beaucoup lu, je me suis informé, j’ai découvert que plusieurs autres patients ont eu ce genre d’effets. Le temps a replacé les choses, et tout ça a changé ma perception de la vie : il faut apprécier la beauté. On est chanceux d’avoir cette vie culturelle, la capacité de s’exprimer librement, je ne veux plus rien tenir pour acquis. »

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