La 89e saison de l’Orchestre symphonique de Montréal s’est terminée comme elle a commencé, avec Mahler. Après avoir dirigé l’immense Deuxième symphonie en septembre, Rafael Payare a mis un remarquable point final à sa première année comme directeur musical en titre avec la non moins monumentale Troisième symphonie du compositeur bohémien.

Diriger Mahler est évidemment un défi sur le plan de la mise en place orchestrale, avec une centaine de musiciens sur scène et une partition longue comme le bras. Mais le directeur musical de l’OSM va bien, bien au-delà de la petite « cuisine ». Il fait de la Symphonie no 3 en ré mineur un vaste tableau où se meuvent des centaines de personnages. On pense à ces films-mondes comme Intolérance de Griffith ou Guerre et paix de Bondartchouk.

C’est notamment le cas dans le premier mouvement, pas loin d’être le plus long mouvement de symphonie de tout le répertoire. On pourrait reprocher à Mahler d’y avoir inséré trop de personnages secondaires, d’être tombé dans une certaine boursouflure.

Mais Payare donne un tel souffle à tout cela qu’on le suit volontiers à travers les nombreux dédales mahlériens.

On est saisi dès l’entrée des cors, peut-être trop legato (Mahler met des accents sur chaque note), mais bien « puissante, décidée », comme le demande le compositeur. La grosse caisse pianissimo de Serge Desgagnés installe ensuite, en toute subtilité, le climat de suspense qui allait suivre. Chant et sens de la narration : l’OSM de Rafael Payare avait déjà, en quelques mesures, annoncé ses couleurs pour les quelque 90 minutes à venir.

Les deuxième et troisième mouvements sont peut-être plus légers (le précédent est censé évoquer les forces telluriques alors que ceux-ci figurent respectivement les végétaux et les animaux), mais ils suivent un peu la même recette : succession de nombreux thèmes et motifs souvent fortement contrastés.

Le chef donne encore une fois vie à tous ces personnages, leur distribuant la parole à tour de rôle avec autorité et sensibilité.

Entrées au début du deuxième mouvement, les voix allaient ensuite avoir leur moment. La mezzo-soprano états-unienne Michelle DeYoung, qui a enregistré Mahler avec Boulez, Haitink et compagnie, a été bouleversante dans le quatrième mouvement, le « O Mensch ! Gib acht ! » (Ô homme, prends garde !), tiré d’Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche. Le vibrato est devenu assez large avec le temps, mais cela ne pose guère de problème dans cette esthétique post-wagnérienne.

Les deux chœurs, les femmes du Chœur de l’OSM et les Petits Chanteurs du Mont-Royal, installés aux balcons, ont été impeccables dans le cinquième mouvement, tiré du recueil du Cor merveilleux de l’enfant.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Rafael Payare et l’Orchestre symphonique de Montréal

Mais c’est probablement dans le dernier mouvement, enchaîné comme il se doit sans interruption, que l’émotion a atteint son zénith. Pour Mahler, c’est ici que « tout se résout dans la paix et dans l’Être », comme il l’a écrit à une proche. Payare a bien compris cela, lui qui dirige le début de cet adagio dans une sorte de résignation bienheureuse, laissant la musique se dérouler naturellement jusqu’au vibrant climax où il fallait avoir un cœur de pierre pour ne pas sentir les poils des bras se dresser de contentement.

Comment ne pas attendre impatiemment les Symphonies no 1 et 7 du même compositeur l’an prochain ?

La cheffe de la direction Madeleine Careau a souligné en début de concert le départ à la retraite du hautboïste Theodore Baskin et de son épouse violoncelliste Karen Baskin, qui ont fait partie de l’OSM pendant respectivement 43 et 34 ans.

Le concert, d’abord donné mercredi soir, sera répété ce samedi après-midi, à 14 h 30.