L’Opéra de Montréal poursuit son exploration du répertoire lyrique contemporain avec Ainadamar, de l’Argentin Oscar Golijov. Bilan de la première, qui avait lieu samedi soir au Théâtre Maisonneuve.

La salle de la Place des Arts n’était pas loin d’être pleine pour la première canadienne de cet opéra créé il y a 20 ans à Tanglewood, puis enregistré pour Deutsche Grammophon (avec Dawn Upshaw dans le rôle de Margarita).

Pour ceux à qui le nom de Golijov ne dirait pas grand-chose, il s’agit d’un ancien élève de George Crumb et d’Oliver Knussen connu pour incorporer dans son œuvre divers folklores (caribéen, klezmer, tango, etc.). Un langage accessible qui, dans le cas d’Ainadamar, fait une utilisation astucieuse et presque constante des percussions et un emploi modéré de la dissonance et de la musique concrète.

Chaque scène est caractérisée par une grande unité sur le plan tonal (présence de « pédales » – longues notes tenues) et rythmique (de nombreux ostinatos). L’ensemble de l’opéra ressemble à une immense litanie dont le caractère lancinant n’est pas sans rappeler l’atmosphère du Boléro de Ravel.

Du point de vue du livret (du dramaturge états-unien David Henry Hwang), il s’agit d’une sorte de lamentation sur la mort, durant la guerre civile espagnole, du poète espagnol Federico García Lorca vue à travers les yeux de sa muse, l’actrice Margarita Xirgu, qui lui a survécu une trentaine d’années.

Pas une action du genre à nous river sur notre siège : on est plus dans une méditation sur le sens de la liberté en allers-retours poétiques entre différentes époques.

Cet opéra – en espagnol – de seulement 80 minutes nécessite pourtant des moyens non négligeables, dans le cas montréalais une fosse d’une cinquantaine de musiciens de l’Orchestre symphonique de Montréal, un chœur d’une vingtaine de chanteuses, sept danseuses de flamenco et huit figurants.

La mise en scène rythmée du Californien Brian Staufenbiel, de retour à Montréal cinq ans après son Or du Rhin, contribue à transformer cette foule en un vibrant ballet réglé au quart de tour. Le décor unique, à deux niveaux, que le metteur en scène a imaginé aux côtés de Pierre Massoud, de l’Opéra de Montréal, fait mouche.

  • La soprano Emily Dorn (à l’avant), dans le rôle de l’actrice Margarita Xirgu, et le contre-ténor italien Luigi Schifano, dans le rôle du poète espagnol Federico García Lorca

    PHOTO PIER-OLIVIER PINARD, FOURNIE PAR LA PRODUCTION

    La soprano Emily Dorn (à l’avant), dans le rôle de l’actrice Margarita Xirgu, et le contre-ténor italien Luigi Schifano, dans le rôle du poète espagnol Federico García Lorca

  • Les performances des sopranos Emily Dorn (à gauche), dans le rôle de Margarita Xirgu, et Elisabeth Polese, dans le rôle de sa jeune élève, sont particulièrement brillantes.

    PHOTO PIER-OLIVIER PINARD, FOURNIE PAR LA PRODUCTION

    Les performances des sopranos Emily Dorn (à gauche), dans le rôle de Margarita Xirgu, et Elisabeth Polese, dans le rôle de sa jeune élève, sont particulièrement brillantes.

  • À côté de la Margarita d’Emily Dorn, le García Lorca du contre-ténor italien Luigi Schifano paraît plus pâle.

    PHOTO PIER-OLIVIER PINARD, FOURNIE PAR LA PRODUCTION

    À côté de la Margarita d’Emily Dorn, le García Lorca du contre-ténor italien Luigi Schifano paraît plus pâle.

  • Sur scène, un chœur d’une vingtaine de chanteuses, sept danseuses de flamenco et huit figurants accompagnent les solistes.

    PHOTO PIER-OLIVIER PINARD, FOURNIE PAR LA PRODUCTION

    Sur scène, un chœur d’une vingtaine de chanteuses, sept danseuses de flamenco et huit figurants accompagnent les solistes.

  • Alfredo Tejada dans le rôle de l’infâme Ramón Ruiz Alonso

    PHOTO PIER-OLIVIER PINARD, FOURNIE PAR LA PRODUCTION

    Alfredo Tejada dans le rôle de l’infâme Ramón Ruiz Alonso

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Des sept solistes, c’est la soprano ontarienne Emily Dorn qui remporte de loin la palme, autant sur les plans quantitatif – le rôle de Margarita est le plus présent – que qualitatif. En résidence dans la troupe d’opéra d’une ville de 70 000 habitants du centre de l’Allemagne (une chose inimaginable ici), la chanteuse séduit autant par sa présence magnétique que par sa voix ductile lui permettant d’épouser tous les contours de la ligne passablement virtuose qui lui est dévolue. Seul bémol : l’amplification parfois trop généreuse de sa voix.

Face à elle, le García Lorca du contre-ténor italien Luigi Schifano paraît plus pâle, tant comme acteur que comme chanteur. Il faut dire que le rôle est écrit pour une mezzo-soprano, le compositeur jouant sur l’ambiguïté suscitée par l’homosexualité du héros.

Même si les tessitures sont semblables, la nature de l’émission est complètement différente.

Parmi les autres rôles, signalons la Nuria effervescente de la jeune soprano Elisabeth Polese (de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal) et l’authentique chanteur de flamenco andalou Alfredo Tejada, impressionnant dans le rôle de l’infâme Ramón Ruiz Alonso.

Et il y a bien sûr la cheffe Nicole Paiement, qui n’a rien d’une simple batteuse de mesure, comme on en voit trop souvent en musique contemporaine. La Québécoise installée à San Francisco (elle travaille pour la même compagnie que Staufenbiel) n’en est pas à ses premières armes avec cette partition, et cela paraît. La fosse crépite sous sa direction affûtée.

Contrairement à la dernière production, l’Opéra n’a cette fois-ci pas jugé utile d’avoir recours aux traumavertissements, malgré la présence de références fascistes et de scènes de violence très explicite.

Ainadamar sera de retour ce soir, de même que les 23 mars (19 h 30) et 26 mars (14 h) au Théâtre Maisonneuve.

Consultez le site du Théâtre Maisonneuve