À ses côtés depuis les débuts de sa carrière en solo, Pascal Mailloux est parfois décrit comme le protecteur de l’interprète de Provocante. « Quand t’embarques avec Marjo, dit-il, t’embarques avec toute l’affaire. C’est un voyage. »

Jouer avec Marjo, comment c’est ? « C’est comme être en arrière de Mick Jagger », pense Pascal Mailloux, le seul à encore la suivre sur la route parmi la formation qui l’a accompagnée au cours des années dorées de ses trois premiers albums solos, Celle qui va (1986), Tant qu’il y aura des enfants (1990) et Bohémienne (1995). « Tu te dis : « Tu te dis : “Vas-y, Marjolène, vas-y en avant, nous autres on va te backer solide.” Parce que c’est ça que Marjo fait : tous les soirs, elle va au front. »

Milieu de la décennie 1980. Au moment d’assembler la bande qui épaulera sa blonde, Jean Millaire recrute presque tout l’alignement de la formation new wave Leyden Zar, à qui il rendait souvent visite dans ses locaux de répétitions attenants à ceux de Corbeau. En plus du claviériste Pascal Mailloux, le « bombastique » batteur Serge Gratton et l’inébranlable bassiste Paul Grondin composeront, derrière l’icône, un des groupes les plus marquants de l’histoire du rock québécois.

Ce qu’on a voulu faire, c’est amener Marjo plus pop, plus FM friendly. C’était l’époque de Journey, des chanteurs à la voix haute et à partir de ce moment-là, Marjo, on lui a shifté ça en haut, pour que sa voix tranche à la radio.

Pascal Mailloux

Et par affinités, autant que parce qu’il est le seul à avoir traversé toutes les années à ses côtés, le pianiste sera devenu comme le bras droit de Marjo, celui qui l’arrache à une trop longue séance d’autographes, après un spectacle, afin qu’elle puisse recharger ses batteries en vue du lendemain. Celui qui s’assure qu’on ne la dérange pas dans sa loge, lorsqu’elle a besoin de quiétude. « Marjo, un regard rapide et je peux te dire la phrase qu’elle a dans sa tête. »

Sur un fil de fer

Pascal Mailloux compte ainsi parmi les observateurs les plus privilégiés des nombreux doutes qui grouillent derrière la façade en béton armé de Marjo, qui se tourne souvent vers lui avant de prendre une décision, comme celle de participer à La voix.

« Je lui avais dit : “Sors ton pour et ton contre, on pourra en jaser”, se rappelle-t-il. Son contre : “Je ne sais pas ce que je vais leur dire, je ne comprends pas pourquoi ils viendraient dans mon équipe.” Voyons, Marjolaine ! T’es la top performer au Québec. Mettons qu’une fille de 20 ans chante et que toi, tu te retournes, penses-tu qu’elle va te dire non ? »

Le musicien de 65 ans parle de celle qu’il côtoie depuis quatre décennies – il faisait partie de l’orchestre de L’île en ville, la comédie musicale de François Guy, en 1978 – comme d’une femme plus fragile qu’on le soupçonne, et dont la confiance peut s’effriter rapidement, « son plus gros défaut et sa plus grande qualité ».

« C’est comme le gars qui marche sur un fil de fer », explique-t-il, au sujet de ce mélange d’arrogance et de prudence nécessaires lorsqu’on souhaite offrir ses performances au bord du précipice.

Marjo est sur un fil de fer et avant de monter dessus, il faut qu’elle soit sûre de ne pas tomber.

Pascal Mailloux

Bien que la majorité des chansons de Marjo soient signées Morin/Millaire, Pascal Mailloux a apposé son nom sur certaines incontournables de son répertoire, dont Tant qu’il y aura des enfants (son ébauche, en anglais, s’intitulait Tonight I Saw It In Your Eyes), À bout de ciel et Celle qui va.

Il était aussi de la tournée Rendez-vous doux de Gerry Boulet, ce qui fait de lui un des rares à avoir partagé la scène avec le roi et la reine du rock québécois. « Il m’appelait le kid” et quand il se retournait pour me dire Heille, le kid, ça sonne, le poil me levait sur les bras. »

Posséderait-il, lui, la clé permettant de déverrouiller Marjo, l’autrice-compositrice ? Il soupire. « Écoute, ça fait longtemps que j’essaie. Le problème, c’est que Marjo veut écrire ses textes, mais pour elle, écrire, c’est une angoisse. On a même essayé de la matcher avec des noms connus. »

Selon Pascal Mailloux, Marjo aurait travaillé à une chanson avec Jean Leloup. « Marjolène était même allée chez lui. » Pierre Harel, Michel Rivard et le défunt Roger Tabra lui auraient tous aussi offert du matériel. « La toune de Tabra, c’était bon en criss. Elle lui avait conté sa vie et Tabra avait écrit le texte en même temps qu’elle parlait. Mais elle ne veut pas qu’on sorte ça. »

Déçu, le claviériste ? Pas vraiment. C’est qu’il mesure son privilège d’avoir le meilleur siège de toute la salle, chaque soir qu’il monte sur scène avec sa Mick Jagger. « Elle bougeait de même il y a 40 ans et, quand tu vas la voir en show aujourd’hui, elle bouge encore comme ça. »