En septembre, je vous racontais l’histoire d’une professeure de piano californienne qui s’est fait tirer dessus par sa voisine intolérante à la musique.

Le nombre, mais surtout la polarisation, de vos réactions m’a surprise.

Lisez la chronique « Ne tirez pas sur la pianiste »

Si plusieurs se sont montrés sympathiques aux instrumentistes, allant même jusqu’à espérer avoir un jour des voisins musiciens, encore plus nombreux sont ceux qui m’ont écrit, comme Claude : « Si tu es musicien, loue-toi un local de pratique ou achète-toi une maison. »

Certains l’ont exprimé gentiment ; d’autres étaient nettement moins polis.

Je commence par prendre la défense des musiciens : en 2019, une « bonne année », seuls 23 % des membres de la Guilde des musiciens ont gagné plus de 50 000 $. Pas vraiment suffisant, vous en conviendrez, pour s’offrir une grande maison isolée des voisins, ou pour louer un studio « de pratique ». Les musiciens se rendent souvent à l’avance sur les lieux des répétitions d’orchestre pour y faire une partie de leur répétition individuelle, mais ils n’ont pas accès en tout temps à ces locaux bien adaptés. D’autre part, le travail des musiciens pigistes implique souvent de nombreux déplacements : studio d’enregistrement, plateau de télévision, salles diverses, enseignement dans différentes écoles… Les scénarios varient, mais l’éparpillement géographique est une constante ; faire un peu de travail personnel à la maison évite d’en rajouter.

Mais Nicole m’écrit ceci : « Lorsque quelqu’un a travaillé de nuit et que son voisin pratique son instrument le jour, c’est l’enfer, devinez pour qui ? » J’avoue que c’est là un cas d’incompatibilité totale… et que je ne voudrais pas être à sa place.

Luc Fortin, PDG de la Guilde des musiciens, est guitariste : « Je n’ai jamais eu de problème de voisinage… sauf pour un tapement de pieds ! »

Mais il sait que le besoin de locaux de répétition est important. « C’est pas simple : les loyers sont chers. Il y a quelques endroits abordables : l’ancienne usine Molson, par exemple, loue de vieux locaux, mais ce sont surtout des groupes de heavy metal qui se retrouvent là. La Ville de Montréal a de beaux projets d’ateliers d’artistes, mais ils ne sont pas adaptés aux musiciens ! »

Les solutions dont il entend parler : garde-robe insonorisé, pads de pratique pour les percussionnistes, sourdines pour les cordes et les vents. Et Luc Fortin rappelle ceci : « Cette pratique personnelle, c’est l’exemple parfait d’un travail invisible, non rémunéré. Les salariés qui gèrent les organismes musicaux gagnent souvent deux fois plus que les musiciens. »

Sauf que Gilles, lui, est à bout de patience : « Quand tu as un joueur de piéno au-dessus de toi, c’est normal que tu pognes les nerfs. »

Sylvie lui donnerait peut-être raison. Elle-même pianiste amateur, elle a fait une découverte malheureuse en déménageant.

J’ai été tellement surprise de constater à quel point on entendait fort le piano du voisin. J’ai trouvé ça réellement dérangeant, à tel point que je n’osais même plus jouer, de peur que les voisins entendent mes pratiques répétitives et mes fausses notes occasionnelles.

Sylvie, pianiste amateure

Ça dépend si elle a un voisin comme Gilles… ou comme Nancy : « Je serais tellement heureuse d’avoir pour voisins des musiciens, flûtiste, pianiste qui doivent pratiquer plusieurs heures par jour. Je les accueillerais à bras ouverts ! »

J’ai demandé à Sonia Lupien, grande spécialiste du stress humain, ce qui explique ces réactions aux antipodes. Elle me dit d’abord qu’on ne trouve pas de recherches significatives sur la musique « subie » et le stress. Sa réflexion est tout de même éclairante.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Sonia Lupien, directrice du Centre d’études sur le stress humain de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal

La musique a un sens très profond pour le musicien, mais elle peut ne représenter que du bruit pour un non-musicien et donc être vécue de la même manière qu’un son constant qui dérange et stresse. La musique devient équivalente au marteau-piqueur du gars de la construction, et génère une réponse de stress.

Sonia Lupien, directrice du Centre d’études sur le stress humain de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal

Le guitariste Pierre Dumont-Gauthier, bien connu sur les plateaux de télévision, a mesuré ce paradoxe de manière… douloureuse : « L’entrepreneur engagé par mon voisin ne venait que les fins de semaine travailler à construire un mur de brique. Il commençait à 7 h le matin et terminait à 19 h, depuis plus d’un mois. J’enregistrais alors des émissions le soir, et ma conjointe, infirmière à l’urgence, travaillait de nuit : pas facile de dormir au son d’une scie à brique. »

Il s’est plaint à sa municipalité de l’Ouest-de-l’Île, mais on lui a répondu qu’on permettait tout travail de construction de 7 h à 19 h, sept jours sur sept. Comme plusieurs municipalités environnantes interdisent les travaux les samedis et dimanches, le musicien en a déduit que le constructeur gardait ses fins de semaine pour son voisin.

Mais l’histoire de Pierre ne s’arrête pas là : « Le premier samedi sans travaux, je pratique ma guitare électrique et j’entends sonner à la porte. Sans climatisation, j’avais ouvert une fenêtre, et un représentant de la sécurité publique m’informe qu’il y a eu plainte. Je lui parle de ma plainte pour le bruit des derniers mois, et lui m’explique qu’on ne peut pas se plaindre pour la construction, mais pour la musique, oui. »

Peut-être qu’il aurait pu invoquer se « construire » un nouveau solo…

Une belle histoire pour terminer ? Celle de Monique : « Je ne me suis jamais privée de pratiquer, tout en ayant établi une bonne communication avec mes voisins du rez-de-chaussée. Leurs enfants m’entendent pratiquer depuis leur naissance. Conséquence : j’enseigne le piano à la petite fille et je prépare le garçon pour son admission dans un programme arts-études. Je dois être chanceuse ! »

En effet.