Récemment, une professeure de piano californienne a eu la peur de sa vie quand sa voisine d’en haut, une femme de 39 ans lourdement intoxiquée par l’alcool, a tiré sur elle à travers le plancher. Paf !

La lampe du piano a pris le coup, et plus tard la police a trouvé une deuxième balle qui avait fait son chemin vers la pianiste, sans l’atteindre. Il semble que la tireuse se plaignait du bruit du piano depuis son arrivée, l’année dernière.

J’ai immédiatement pensé à un couple d’amis musiciens professionnels qui a également subi la hargne d’une voisine d’en haut — heureusement non armée —, après avoir emménagé dans leur copropriété.

Ils avaient pourtant pris les devants, informé la copropriétaire de leur métier, de la nécessité de travailler leurs instruments, entre autres pour préparer des auditions importantes. Ils l’ont invitée à leur faire signe si un problème se posait.

L’amie flûtiste : « En la croisant, on posait des questions. Elle nous disait : “Tout va bien, j’aime ça” ».

Après les auditions, ils ont pris deux semaines de vacances, et c’est à leur retour que tout a basculé.

Un premier courriel les a consternés. En gros : « Cessez immédiatement de jouer vos instruments, j’ai droit à mon calme ». Aucune négociation n’a été possible, une médiation a été refusée.

Le couple s’est engagé dans l’insonorisation de la pièce servant de studio, guidé par une firme spécialisée en isolation de studios professionnels, prenant des photos, documentant chaque étape.

Deux semaines après la fin des travaux, un nouveau courriel hostile affirmait que ça n’avait « presque rien changé » et les sommait d’arrêter toute pratique instrumentale.

La flûtiste résume la suite : « Tension, anxiété, insomnie… on a monté un dossier, contacté un avocat. On a tenu un calendrier précis de notre pratique, l’horaire, la durée. On a même mesuré avec un sonomètre, filmant tour à tour la mesure pendant que l’autre pratiquait ! »

Les plaintes ont continué, culminant par un ultimatum : « Vous arrêtez de pratiquer, sinon on va en cour. »

Rassurés par leur dossier solide, les musiciens ont fini par répondre : « Poursuivez-nous ! » Ils ont reçu un courriel de bêtises auquel ils n’ont pas répliqué, puis… plus rien.

« On lui a laissé le dernier mot, je crois que c’est ce qu’elle voulait. »

Pour l’instant, la trêve se poursuit, mais ces amis repensent avec un peu de nostalgie au propriétaire de leur ancien logement, abonné à l’Orchestre Métropolitain, toujours enchanté de les entendre, et triste de les perdre comme locataires.

La nuisance sonore est extrêmement difficile à décrire. Quand un règlement municipal parle de « bruit de nature à troubler la paix, le confort et le bien-être du voisinage », ça reste subjectif : le chemin qui mène du ravissement à la crise de nerfs est bien mystérieux…

Quand on veut quantifier la nuisance, on bascule soudain dans l’extrême opposé : les règlements de villes comme Montréal ou Québec passent des principes de bon voisinage à une science difficile d’accès. Dans les grandes lignes, on cherchera à mesurer précisément « l’émergence » de la nuisance sonore : de combien de décibels le violon de votre voisin dépasse le bruit ambiant capté à l’endroit où il vous dérange ?

Mais je ne connais pas beaucoup de violonistes capables de situer leur son par rapport à cette équation qu’on retrouve dans le règlement montréalais : « Lx = Bx-Ba+(Bp-Bm) pour Lx ≥ 0 ».

Un indice ? Bm représente « le bruit minimum de la source au lieu perturbé ». Comme quoi un indice peut laisser perplexe…

Certains instruments utilisent parfois une sourdine, qui atténue le son et lui donne une couleur particulière : les compositeurs la demandent pour certains passages précis. « Voilà la solution ! », vous dites-vous ? Pas tout à fait. Oui, un musicien peut par moments travailler avec une sourdine, déchiffrer et apprendre des passages difficiles, par exemple. Mais à haut niveau, le contrôle du son est un pilier de tout le travail instrumental.

J’ai aussi trouvé quelques propositions loufoques sur un site français : entourer la flûte de mousse isolante, ou la glisser dans une boîte de carton, en ne laissant que sa tête dépasser et en créant des orifices pour glisser les mains. Mais encore là, rien de viable pour un musicien professionnel.

Alors quoi ? Pratiquer un instrument sera toujours risqué ?

De tous les articles français et américains parcourus sur le sujet, je retiens deux choses :

— Si un conflit de voisinage se retrouve en cour, c’est la jurisprudence qui sera déterminante. C’est-à-dire, ce qui a déjà été considéré comme raisonnable ou pas, en termes d’horaire, de durée ou de volume sonore. En France, par exemple, la jurisprudence montre qu’une durée de pratique instrumentale d’une heure par jour doit être tolérée. Au-delà, c’est moins clair.

— On souligne toujours l’importance de la bonne communication : prendre les devants, expliquer la situation, négocier les horaires et la durée des répétitions, inciter au dialogue. Bref, tout ce que mes amis avaient fait.

Après, il faudra donc espérer que la voisine ne soit pas d’humeur trop changeante… ou intoxiquée à la tequila et armée de deux fusils.