Marc Cassivi a suivi Marie-Mai dans les jours qui ont précédé la sortie de son nouvel album. Portrait d'une chanteuse plus pop que jamais.

Une jeune femme essuie ses larmes d'un revers de main dans le vaste salon, d'un chic rustique, d'une jolie maison à flanc de montagne des Laurentides, dimanche dernier.

Ils sont plusieurs à avoir le regard embué, parmi la cinquantaine d'admirateurs conviés à cette séance d'écoute exclusive du sixième album de Marie-Mai Bouchard, Elle et moi.

Ils viennent d'entendre La fin, chanson qui aborde la rupture très médiatisée de la chanteuse avec Fred St-Gelais. Marie-Mai a partagé sa vie pendant 11 ans avec son ancien guitariste et complice auteur-compositeur, avant leur séparation en 2016, en pleine série de spectacles au Théâtre St-Denis. Ballade mélancolique, La fin laisse peu de place à l'interprétation («J'ai fait de la peine et bien des ravages/J'ai brisé mes promesses sur ton visage»).

«C'est important pour moi d'être transparente sur cet album. Je n'ai pas le choix d'avouer mes torts», dit-elle aux fans venus à sa rencontre, chez elle. Elle hésite un instant et ajoute, pour se faire rassurante: «Fred l'a écoutée et il l'a aimée!»

La transparence se veut la ligne maîtresse d'Elle et moi, le témoignage à coeur ouvert d'une artiste qui a grandi dans l'oeil du public, préservée par une bulle médiatique depuis sa participation, à 18 ans, à Star Académie. Jusqu'à sa séparation...

C'est le réquisitoire sans fard d'une femme de 34 ans, blessée, écorchée et déterminée à faire mentir ses détracteurs. Ceux qui lui ont reproché de ne pas commenter publiquement sa rupture. Ceux qui ont laissé entendre que sans son pygmalion, elle n'était plus rien.

«Ils avaient tort de m'enterrer», chante-t-elle sur Élever, chanson cachée à la toute fin de son album. Autour d'elle, sur un immense canapé «sectionnel», en ce dimanche matin radieux de novembre, il n'y a que des admirateurs. Trois groupes de cinquante fans viendront à tour de rôle, de 11 h à 17 h, l'entourer de bienveillance et de compliments, dans cette pièce accueillante aux poutres apparentes et au grand foyer de pierres grises.

Ils ont en moyenne 25 ou 30 ans, sont en grande majorité des femmes et se livrent à leur idole comme à une amie ou à une grande soeur, en parlant de leurs peurs et de leurs coups de coeur.

Une rupture par procuration

Sa rupture, ils l'ont vécue par procuration, à travers les médias et les réseaux sociaux.

«On a vécu la séparation en même temps que toi», lui dit une femme dans la jeune vingtaine, assise à ses côtés, brisant le silence de recueillement qui s'est installé après l'écoute de La fin.

Pour le témoin extérieur que je suis, cette symbiose entre l'artiste et ses fans, sorte d'étrange catharsis, est pour le moins étonnante.

«J'avais besoin de cet exutoire. Tant mieux si vous êtes capables de le recevoir», dit-elle au deuxième groupe venu la rencontrer. En fin de journée, elle enlace une autre jeune admiratrice, inconsolable, tout en essuyant ses propres larmes.

«J'ai été déçue de la manière dont les médias ont géré ma rupture, m'avoue-t-elle, pendant qu'on la maquille le matin, avant l'arrivée de ses invités. J'aurais aimé avoir un peu de respect de leur part, dans une situation qui était difficile. Je n'ai pas dit que je ne voulais jamais en parler. Ça faisait 24 heures! Est-ce que je pouvais vivre le deuil de cette relation-là? On ne m'a pas donné le choix.»

«On s'est acharné sur moi. Il a fallu que je parte à Nashville, me couper du monde, parce que j'étais trop blessée. On me disait que ça faisait partie de ma job de m'expliquer. Comme si je devais tout aux médias!»

Tout est écrit dans les textes de son nouvel album, qu'elle signe elle-même. Tantôt en toutes lettres, tantôt entre les lignes. «On m'attaque, me suit/On me traque, me nuit/On attend que je craque/Doubles faces/Veulent que je m'efface/Sans bruit, sans laisser une trace», chante-t-elle sur Assoiffés de pouvoir. «Vous n'aurez jamais mon nom», chante-t-elle encore.

«C'est un avertissement à ceux qui veulent me nuire ou me faire peur. Ça ne marchera pas! Je connais ma valeur», dit-elle à ses fans, à qui elle se livre avec franchise et générosité. «Just watch me», comme dirait l'autre.

RUPTURES

Elle et moi marque une «nouvelle ère» pour Marie-Mai, dixit son équipe de communications. On y fait table rase du passé, sans pour autant le renier. Il y est question de ruptures non seulement amoureuses, mais professionnelles.

Si Marie-Mai a un «empire à reconstruire» (Empire), c'est parce qu'elle en a quitté un autre. Elle fut pendant des années l'archétype de la convergence chez Québecor. Son image de marque. L'enfant chérie. Marie-Mai est née médiatiquement en 2003, pendant la première saison de Star Académie au réseau TVA, avec à la clé un contrat de disque chez Musicor, filiale de Québecor, et un contrat de gérance aux Productions J, entreprise de Julie Snyder. 

Elle fut en quelque sorte une enfant du divorce de Julie Snyder et du président de Québecor, Pierre Karl Péladeau. Sa relation avec Julie Snyder semble désormais au beau fixe après une période où elles ont cessé de se parler, peu après son départ de Productions J, l'hiver dernier. Mais hors du giron de Musicor - qu'elle a quitté pour Spectra Musique, propriété d'evenko -, elle ne trouve point de salut (ni de bonjour) dans les médias de Québecor. 

Où l'on rapportait auparavant ses moindres faits et gestes, on feint désormais d'ignorer plus ou moins son existence. 

«Il y a beaucoup de sujets épineux et il faut que je fasse attention à ça, me confie-t-elle. Pour ce qui est de Productions J, ça s'est relativement bien passé. Une séparation, ce n'est jamais facile, mais de façon générale, on a fait ça comme des grandes. Je pense qu'on a un respect l'une pour l'autre qui va au-delà des affaires. Mon contrat avec Musicor était terminé depuis mon dernier album, il y a quatre ans. Et je savais qu'en quittant pour ma nouvelle équipe, ça allait causer un malaise. On me l'a dit, c'était clair. Mais je me suis dit que je voulais prendre des décisions en pariant sur moi. Pas par peur ou par insécurité. 

- On t'a fait comprendre que tu aurais moins de couverture médiatique? 

- On me l'a dit très clairement.» 

Comme un phénix?

Elle et moi traite non seulement des doutes et des appréhensions de Marie-Mai, mais aussi de sa chute et de sa renaissance. 

«J'ai trouvé sur mon passage/un peu de courage/pour recommencer», chante-t-elle sur Exister, qu'elle considère comme la pièce maîtresse de l'album. 

Marie-Mai, un phénix qui renaît de ses cendres? Vraiment? 

«Il y a eu un moment où j'ai été hyper vulnérable, où je n'avais plus de compagnie de disques, plus d'équipe de gérance, où j'ai perdu mon partner d'écriture. Quand je me suis séparée, des gens de mon industrie, des journalistes et des animateurs radio ont dit que c'était fini pour moi. Ça m'a fait de la peine. Ça fait 15 ans que je fais ce métier-là! J'écris mes chansons! Je suis une auteure-compositrice! C'est qui je suis.» 

«On a voulu m'enlever toute la crédibilité que j'avais en tant qu'artiste. J'ai vraiment eu l'impression que les gens me sous-estimaient.» 

Elle a aussi connu une période de profonde remise en question, alors que sa confiance était ébranlée. 

«Je me suis demandé si j'avais fait les bons choix. C'est arrivé alors que j'ai eu ma fille, que j'ai pris une pause de spectacles et du contact avec les fans. Je me suis rendu compte que ma confiance en moi venait directement de ce que je faisais dans la vie. Et que si tu m'enlevais ce contact-là avec le public, ma confiance en moi s'évaporait. Quand tu es dans le feu de l'action et que tu entends ça, tu t'en fous parce que le soir, tu chantes devant 10 000 personnes qui te disent qu'elles t'aiment. Mais quand t'es loin du public, que tu vis de l'insécurité et que certains en profitent pour semer le doute, ça joue dans ta tête. Je me suis demandé si j'étais meilleure avec Fred. Peut-être que je n'ai plus rien à dire? Peut-être que ma carrière est finie?»

Photo Edouard Plante-Fréchette, La Presse

La transparence semble être la ligne maîtresse d'Elle et moi, le témoignage à coeur ouvert d'une artiste qui a grandi dans l'oeil du public, préservée par une bulle médiatique depuis sa participation, à 18 ans, à Star Académie.

RETROUVAILLES

Marie-Mai aime son public, et son public le lui rend bien. Pour lancer ce sixième album en 15 ans de carrière, elle a donc eu l'idée d'inviter chez elle 150 admirateurs parmi ses abonnés Facebook et des lauréats de concours à la radio, la semaine dernière. 

Trois autobus, partis du Centre Bell et remplis de fans (sans leur téléphone cellulaire et ses outils de géolocalisation), ont fait le trajet de plus d'une heure vers sa maison, en empruntant quelques détours volontaires. 

«On n'aurait jamais osé lui proposer l'idée nous-mêmes», me confie son imprésario Shannie Ladouceur, qui dirige pour l'occasion une équipe d'une vingtaine de personnes s'affairant depuis le matin à préparer cette rencontre intimiste. Tests de son, petites bouchées, verres de mousseux, maquillage, coiffure, dispositif de sécurité. Un défi logistique. 

Le premier convoi arrive vers 11 h. De la cuisine, on entend les cris stridents et enthousiastes des fans dans l'autobus. Marie-Mai les salue du balcon, dans sa robe fuseau de laine grise, ses cheveux blonds presque blancs. «T'es comme Elsa de La Reine des neiges», lui crie spontanément une jeune admiratrice, le sourire fendu jusqu'aux oreilles. 

Pourquoi inviter ainsi des inconnus chez soi, dans l'intimité de sa vie familiale? Sans doute parce que Marie-Mai perçoit ses admirateurs comme des alliés plutôt que comme des étrangers. Plusieurs sont des fans de la première heure, de l'époque de Star Académie, que Marie-Mai a marquée de sa fougue dès la première édition, en 2003 (remportée par Wilfred LeBouthillier). Des adolescentes devenues des femmes. Et des adolescents devenus des hommes, moins nombreux chez elle, mais tout aussi transis d'amour pour leur idole. 

Elle reconnaît d'ailleurs plusieurs visages. Celui de ce jeune homme, début de la vingtaine, qui la suit depuis qu'il a 6 ou 7 ans et qui n'en croit pas ses yeux de se retrouver dans son salon. Lorsqu'elle se lève pour le serrer dans ses bras, il ne cesse de répéter, en pleurs: «Ben voyons donc! Ben voyons donc!» 

J'assiste, aux premières loges, aux retrouvailles émouvantes entre une artiste vénérée et ses fans, après une pause qu'elle a désirée, mais qui semble aussi lui avoir pesé. 

«Depuis mon dernier album, il s'est passé bien des choses, leur dit-elle, l'émotion dans la voix. Il y a eu des hauts et des bas. Mais j'ai l'impression de revenir plus forte, à ma façon. De m'écouter et d'être fidèle à ce que je suis aujourd'hui.» 

«Entre 18 et 34 ans, beaucoup de choses ont changé. J'ai eu envie de me poser des questions et de tester mes limites. J'ai vécu beaucoup d'insécurité et de remises en question. Mais s'il y a une chose à laquelle je me suis rattachée, c'est à vous.» 

Ils ont toujours été là pour elle. Elle a manifestement besoin d'eux et leur est tout dévouée. Elle prendra le temps de se faire photographier avec chacun de ses hôtes, dans un petit local du rez-de-chaussée tapissé pour l'occasion d'affiches promotionnelles. 

«Pendant toute cette tempête où j'avais de la peine et je vivais de l'amertume, me confie-t-elle, la seule constante, c'était eux. C'était la chose qui me tenait et qui me donnait le goût de revenir. Ils me rappelaient pourquoi je fais ce métier-là.» 

Sans filtre

Ses fans inconditionnels connaissent par coeur les paroles des trois premiers extraits de son album. Ils chantent en choeur le dernier tiers d'Empire lorsque la séance d'écoute est interrompue par un problème technique. 

L'amoureux de Marie-Mai et directeur artistique de son album, David Laflèche, qui fait office de DJ/technicien/homme à tout faire, y remédie rapidement. Assise, les yeux clos, devant son public, la pop-star se dandine et lève les bras au son de Je décolle, la plus «dance» du lot. 

«Il y a des drag queens qui vont la faire en spectacle à Montréal!», prédit un autre jeune fan dans la vingtaine, qui avoue que c'est cette pièce qui l'a ramené à la musique de Marie-Mai, après un hiatus de quelques années. Ils sont quelques-uns à lui confier que ses chansons ont accompagné leur «coming out». La très dansante Oser aimer peut d'ailleurs être interprétée comme un appel à «aimer librement». 

«Pour tous les gars qui sortent du garde-robe», précise la diva de la pop québécoise qui, à la manière d'une Taylor Swift ou d'une Lady Gaga, rallie un grand contingent d'admirateurs gais. 

Dans ses chansons et en personne, elle s'adresse à son public d'une voix libérée. Son message est bien sûr calibré. En enteveue, on reconnaît les mêmes formules bien intégrées. Toute sa vie adulte s'est déroulée devant les caméras. 

Une équipe de tournage est d'ailleurs sur place, aux fins d'un documentaire qui sera diffusé au printemps, à Radio-Canada. 

«Avant, je ne parlais pas. Je ne répondais pas aux faussetés qui avaient été écrites sur moi dans les médias ou les réseaux sociaux, aux perceptions changeantes que les gens avaient de moi. Maintenant, je vais mettre mon pied à terre. C'est une reprise de ma voix à moi, de mon identité.» 

Elle a eu envie de se réapproprier cette parole, dit-elle, «afin que les gens comprennent où [elle est] rendue aujourd'hui et par où [elle est] passée». 

Tout en se libérant de certaines déceptions et frustrations. Ses textes, très explicites, au premier degré, perdent sans doute en charge poétique ce qu'ils gagnent en bienfaits thérapeutiques. Elle n'en a cure. «J'exprime mieux mes émotions à travers mes chansons», explique-t-elle. 

La battante et l'essoufflée 

Le premier groupe est reparti vers Montréal. «Ils étaient vraiment allumés. Leurs questions étaient très pertinentes», remarque-t-elle après leur départ, en mangeant un bol de poke, debout devant son frigo, avant les retouches à sa coiffure et son maquillage. 

Le deuxième groupe, qui arrive vers 14 h, est plus timoré. 

«Regardez pas le ménage!», leur dit-elle pour détendre l'atmosphère, les invitant dans le salon avant que la rencontre ne se transforme en party de cuisine. Une adolescente qui porte une affiche «Je t'aime Marie-Mai», ornée de coeurs multicolores, remplit un sac de jujubes avant de passer au salon. 

J'imaginais plus importante la présence de fans adolescents de La Voix junior, dont Marie-Mai a été coach en 2016 et 2017. Ce sont plutôt les millénariaux qui sont venus la rencontrer, en majorité. 

«C'est tellement drôle de vous avoir tous dans mon salon! C'est intimidant», leur avoue-t-elle, saisissant peut-être la nature forcément intrusive de cette journée de promotion bien particulière. 

La maison récemment rénovée où elle les accueille est le lieu où elle a vécu sa maternité, où elle s'est réfugiée et s'est «reconnectée avec [son] essence, dans la forêt», me dit-elle. 

La naissance de sa fille Gisèle, qui aura bientôt 2 ans («Son deuxième prénom est Tennessee, parce qu'elle a été conçue à Nashville»), a tout remis en perspective. 

Marie-Mai lui a écrit une ballade, Ton histoire, à laquelle a d'ailleurs collaboré son amoureux. 

«Longtemps, explique la chanteuse, on m'a convaincue qu'il ne fallait pas que je porte de décolletés ou de jupes trop courtes. Je suis devenue une mère. Mon corps a changé. Après des années à vouloir être un bon modèle pour le Québec, je veux être un bon modèle pour ma fille. Une femme qui s'assume et qui n'a pas peur d'être sexy.» 

Elle et moi, le titre de son album, désigne la femme publique et la femme privée. 

«Je suis la battante et l'essoufflée», confie-t-elle au deuxième groupe d'admirateurs venu entendre ses chansons. 

«Je n'ai jamais parlé de moi sur mes albums auparavant, me dit-elle. Jamais je n'ai ouvert mon journal intime. Marie-Mai, la chanteuse, est inébranlable. Elle peut faire tout ce qu'elle veut, quand elle le veut. Il n'y a rien à son épreuve. On me fait une passe, je vais compter un but! Bouchard, elle, est super insécure. Elle est dans le doute constamment. Longtemps, j'ai cru que je ne pouvais pas être les deux en même temps. Plus maintenant.» 

Devant les caméras de Star Académie, lors de son audition il y a plus de 15 ans, elle déclarait d'emblée: «Chanter, c'est ma vie. Je préfère le préciser!» 

«À 18 ans, je n'avais pas la meilleure voix ni le meilleur look, mais je savais où je m'en allais. J'étais un bulldozer!», se rappelle-t-elle. 

Fondamentalement, la frondeuse d'hier n'a pas changé. Lorsque qu'elle chante «C'est ma raison d'exister» (sur Exister), c'est encore à la même chose qu'elle fait référence: chanter.

Photo Carole Volikakis, fournie par l’artiste

De nombreux fans de Marie-Mai ont vécu sa rupture avec Fred St-Gelais par procuration, à travers les médias et les réseaux sociaux.

DU ROCK À LA POP

Musicalement, Elle et moi présente une Marie-Mai encore plus assumée dans ses ambitions de pop-star. Le pop rock des débuts a fait place à des sonorités plus dansantes: house, dance, électro-pop à saveur européenne. Fred St-Gelais est parti, et avec lui la guitare. Les nouveaux collaborateurs Ingrid St-Pierre (Un pied dans la porte), Jean-Phi Goncalves (Trahison sur ma peau) et Koriass (Elle et moi) témoignent respectivement de leurs sensibilités pop, électro ou hip-hop. 

Mais c'est surtout avec le réalisateur Oliver Som, un Britannique installé à Berlin, que Marie-Mai a composé l'essentiel des titres de son album, pendant deux semaines, dans un petit chalet situé tout près de sa maison, au bord d'un lac. 

Avec la collaboration de Som, la pop-rockeuse s'est transformée en dancing queen. Le résultat est efficace et accrocheur, avec quelques beats contagieux et vers d'oreille mélodiques, dans un enrobage qui se rapproche sans se distinguer outre mesure de ce que font à l'échelle internationale les Robyn et les Beyoncé. Le virage risque de dérouter quelque peu les fans de Mentir et de C.O.B.R.A

«Ça n'a pas été réfléchi, insiste Marie-Mai. C'est moi! Ce qui faisait que mes précédents albums étaient pop-rock, c'est que c'était une rencontre en parfaite symbiose entre Fred, qui était rock, et moi, qui étais pop. Ensemble, c'était notre signature. Si tu enlèves le côté rock, il reste moi et la pop. Mais le côté rock va être là en spectacle!» 

Après cinq albums réalisés chez Musicor, elle avait besoin de changement. «Je ne veux pas que ça sonne péjoratif, mais j'avais envie d'un peu plus de profondeur artistique, dit-elle. J'avais envie de me mettre en danger, d'essayer des trucs que je n'avais jamais essayés. De trouver des collaborateurs nouveaux, avec une vision nouvelle sur ce que je fais.» 

«J'ai fait cet album en ne me souciant pas trop de quelles chansons pourraient passer à la radio. J'ai parfois fait des compromis dans le passé. Cette fois, je l'ai fait pour moi.» 

Des voisins curieux s'arrêtent avec leur véhicule tout-terrain en contrebas de la route, en face de la maison où trône une affiche géante de la pochette de l'album, un cadrage serré du visage de Marie-Mai. L'autobus, qui s'était enlisé et qui a dû être remorqué, est reparti avec le deuxième groupe d'auditeurs. À 16 h, le dernier groupe arrive, aussi enthousiaste que les précédents. Le scénario se répète: accueil du balcon, bouchées, verres de mousseux. Mais l'ambiance, au tomber du jour, est soudainement plus festive, en mode 5 à 7. 

Remises en question

Marie-Mai s'essaie, pour la troisième fois depuis le matin, à un «lipsynch» du rap de Koriass, qui l'accompagne sur la chanson-titre de l'album. Avec plus ou moins de succès. Son «flow» n'est pas assez fluide. Elle en rit de bon coeur. 

«On a vécu des situations différentes mais similaires, et des remises en question semblables, dit-elle à propos du populaire rappeur. On a tous les deux été échaudés. On ne voit plus notre milieu de la même façon.» Qu'est-ce qui a changé? Elle pose aujourd'hui un regard moins naïf sur l'industrie du show-business qu'au début de sa carrière, me répond-elle. Elle ne s'en laissera plus imposer. 

«Quand on te confronte, tout devient clair. Être sous-estimée, je n'aime pas ça. Ni sentir que quelqu'un au-dessus de moi décide à ma place. J'ai vécu trop longtemps en ayant l'impression que j'avais des patrons. Maintenant, je sais que j'ai le gros bout du bâton!»

Elle n'a jamais eu peur de ses ambitions, même si elle les avait, de son propre aveu, quelque peu réprimées. Ce n'est plus le cas. 

«Tu vas faire trois fois le Centre Bell?», que je lui demande en faisant référence à ses prochains spectacles (les 14, 15 et 16 février). «Tu veux dire 15 fois!», me répond-elle, le sourire en coin, pour me rappeler qu'elle a déjà donné 12 concerts dans l'amphithéâtre montréalais depuis 2007. 

Marie-Mai est un phénomène populaire. Quelque deux millions de spectateurs l'ont déjà vue en spectacle. Elle a remporté dix Félix, dont à cinq reprises celui de l'interprète féminine de l'année. 

La dernière fois, c'était en 2016. Pour cette bête de scène, cela semble faire une éternité. «Depuis, j'ai vécu toutes sortes d'expériences, pour le meilleur et pour le pire», rappelle-t-elle. Son nouvel album est une série de clichés des états d'âme d'une artiste populaire qui s'est égarée en chemin. 

Et le polaroïd d'une ambition renouvelée. Aujourd'hui, Marie-Mai a envie de chanter, de danser et de faire danser. «Je ne veux plus me prendre trop au sérieux. Je veux avoir du fun et le communiquer.» Sans carcan et sans contraintes.

Photo Bernard Brault, archives La Presse

Marie-Mai lors d'un arrêt de la tournée Miroir au Centre Bell, en 2013.

UN ITINÉRAIRE EN 12 DATES

2003: Star Académie

La jeune Marie-Mai Bouchard, 18 ans, originaire de Varennes, se démarque à Star Académie à l'hiver 2003 avec son style pop-rock. Elle perd contre Marie-Élaine Thibert en demi-finale, mais l'émission de téléréalité musicale sera un véritable tremplin pour sa carrière. Avec la tournée Star Académie, elle fait 17 fois le Centre Bell.

2004: Premier album

Sorti à l'été 2004, Inoxydable marque le premier succès de Marie-Mai auprès d'un jeune public. Il s'est vendu à plus de 120 000 exemplaires et a été certifié platine au Canada. On y trouve de populaires titres comme Il faut que tu t'en ailles et Encore une nuit.

2008: Premier Félix

En 2008, Marie-Mai reçoit son tout premier Félix lors du 30e gala de l'ADISQ pour son deuxième album, Dangereuse attraction, sacré Album rock de l'année. Majoritairement composé par Fred St-Gelais et elle-même, il comprend Qui prendra ma place, Mentir et Emmène-moi, tous de véritables succès auprès du public et sur les ondes radio.

2010: Interprète féminine de l'année

À l'ADISQ en 2010, elle remporte un deuxième Félix dans la catégorie Album rock de l'année, mais surtout, elle est couronnée Interprète féminine de l'année pour la première fois. Le succès de Version 3.0 confirme Marie-Mai comme l'auteure-compositrice-interprète la plus populaire du Québec: elle fait trois fois le Centre Bell à guichets fermés. La même année, elle chante également lors de la cérémonie officielle de clôture des Jeux olympiques de Vancouver.

2011: La Schtroumpfette

Marie-Mai prête sa voix au personnage de la Schtroumpfette dans la série de longs métrages d'animation Les Schtroumpfs depuis 2011.

2011: Mariage à Hawaii

Le 4 septembre 2011, elle se marie à Hawaii avec Fred St-Gelais.

2013: L'année Miroir et La voix

En janvier 2013, Marie-Mai participe, comme coach, à la première saison de l'émission La voix. Elle choisit comme mentor son mari Fred St-Gelais. Sa candidate Charlotte Cardin se rendra jusqu'en finale. À l'automne, Marie-Mai remporte deux nouveaux Félix: celui de l'album pop de l'année pour Miroir et celui d'Interprète féminine de l'année. C'est également en 2013 que la populaire chanteuse entre au musée Grévin de Montréal. Plutôt ratée, sa statue devra être retouchée pour lui ressembler un peu plus. La tournée Traverser le miroir fait l'objet d'un film qui suit la chanteuse grâce à la technologie de caméras numériques Alexa.

2014: M 

En 2014, Marie-Mai lance M. L'album se vend à près de 20 000 exemplaires dès la semaine de sa sortie. La chanteuse remporte grâce au vote du public son quatrième Félix dans la catégorie Interprète féminine de l'année au gala de l'ADISQ.

2015: L'aventure américaine

En 2015, Marie-Mai et Fred St-Gelais prennent une pause et partent pendant cinq mois pour sillonner les États-Unis. À leur retour, Marie-Mai relève un tout nouveau défi: animer le grand spectacle de la fête nationale sur les plaines d'Abraham, à Québec. Le 3 décembre 2015, elle envoie aux radios une nouvelle chanson, Je reviens, qui fera l'ouverture de son spectacle en résidence au St-Denis.

2016: Une rupture et un bébé

Le 7 janvier 2016, Marie-Mai annonce la fin de sa relation avec Fred St-Gelais après 11 ans de vie commune. Elle en fait l'annonce dans un message sur sa page Facebook. «Aujourd'hui nos chemins se séparent et j'en assume la pleine responsabilité, mais je ne perds pas de vue tout ce qu'on a fait ensemble et tout ce qu'on a été», indique-t-elle. Elle est en couple avec David Laflèche depuis 2016. Elle donne naissance à leur fille, Gisèle, le 15 février 2017.

2016: La voix junior

Le 24 février 2016, Marie-Mai devient officiellement la première coach dévoilée pour La voix junior, pour la première édition de l'émission au Québec. Elle remporte La voix junior 2 avec Sydney Lallier, jeune rappeuse de 10 ans.

2018: Changement de cap

En mars 2018, Marie-Mai quitte Productions J, qui gérait sa carrière depuis 15 ans, et signe avec Spectra Musique. Le label produit Elle et moi, son nouvel album paru hier. C'est aussi la première fois que Marie-Mai écrit et compose seule un album au cours de sa carrière. Au petit écran, la chanteuse anime aux côtés de Yann Perreault L'autre gala de l'ADISQ et elle sera, à compter de janvier, mentore à l'émission The Launch sur les ondes de CTV avec Scott Borchetta.

Photo Martin Tremblay, archives La Presse

En 2003, la jeune Marie-Mai Bouchard, 18 ans, originaire de Varennes, se démarque à l'émission Star Académie avec son style pop-rock.