Véritable conte de fées que ce Goncourt 2011 -pas le livre, mais son couronnement. Un manuscrit envoyé par la poste, premier roman d'un Lyonnais de 48 ans, tout cela en plein centenaire des éditions Gallimard, on peut dire que le rêve littéraire est intact, comme s'il était arrangé avec le gars des vues.

Comme si on voulait, avec L'art français de la guerre d'Alexis Jennis, nous refaire le coup des Bienveillantes de Jonathan Littell. Car il est une fois de plus question de guerre dans cette brique de 632 pages, qui couvre la Deuxième Guerre mondiale, la guerre d'Indochine et la guerre d'Algérie. Le narrateur, qui ne connaît de la guerre que ce qu'il a vu au cinéma et à la télé, l'avoue: écrire n'est pas son fort, il préfère peindre. C'est un vieil homme, Victorien Salagnon, qui lui donne des cours, et qui lui raconte en même temps son histoire, celle d'un certain rêve de la France qui s'est transformé en cauchemar.

«Mais je suis le narrateur; alors je narre», lit-on au début, avant de plonger dans l'épopée sanglante de Salagnon. Et ce que l'on essaiera de comprendre tout au long, c'est comment les Français ont-il pu prendre le maquis et lutter contre les Allemands pour finir par devenir bourreaux, contre d'autres maquisards, en Algérie? Et tout perdre? C'est que «la France est le culte du livre» et a longtemps été dirigée par un Romancier: de Gaulle.

«Nous vécûmes dans les pages des Mémoires du Général, dans un décor de papier qu'il écrivit de sa main». Et tout le monde sait que les romanciers mentent... S'il existe une telle chose qu'un art «français» de la guerre, elle est avant tout dans la langue, propose Jenni, et la guerre n'est pas finie. C'est le roman de la «pourriture coloniale» qui remonte sans cesse, parce que le pays, c'est la langue, et qu'on continue d'utiliser le «nous» et le «eux», à pointer les accents, à désigner les «autres»...

Pendant que Salagnon peint et raconte, dehors, l'atmosphère est toujours à l'émeute, ce qui fait dire à son ancien compagnon d'armes, le sinistre Mariani, encore au combat, que c'est maintenant la France qui se fait coloniser, à force d'avoir trop battu en retraite, ça s'entend dans le pervertissement de la langue! Mais le narrateur, lui, croit que «les violences au sein de l'Empire nous ont brisés; les contrôles maniaques aux frontières de la nation nous brisent encore. (...) Qu'est-ce qu'être Français? Le désir de l'être, et la narration de ce désir en français, récit entier qui ne cache rien de ce qui fut, ni l'horreur, ni la vie qui advint quand même».

Il y a un souffle épique dans ce premier roman d'Alexis Jenni, parfois trop, ce qui plombe certaines pages d'une lourdeur et d'une grandiloquence agaçantes -françaises, aurait-on envie de dire-, mais la traversée est fascinante et en dit beaucoup sur «l'État» d'esprit de la France actuelle, torturée par son passé.

L'art français de la guerre

Alexis Jenni

Gallimard, 632 pages

*** 1/2