Dans Anaïs au Japon ou L'invraisemblable obédience des types en noir, Étienne Verstraelen pose un regard amusé, mais aussi plein d'empathie, sur la société nippone. Sorte d'Alice au pays des merveilles en Extrême-Orient, ce premier roman réjouissant est le livre d'un écrivain-voyageur dont l'ouverture au monde est le seul mantra.

Étienne Verstraelen a passé une grande partie de sa vie à l'étranger et a vécu quatre ans au Japon. Le jeune homme de 36 ans, qui était de passage à Montréal pendant les Fêtes, s'installera d'ailleurs bientôt en Andalousie. «C'est la seule manière d'apprendre à bien connaître un pays, estime-t-il. Il faut au moins trois ou quatre mois pour comprendre les gens.»

Il a beaucoup voyagé en Europe avant de prendre la direction de l'Asie, à la recherche d'un «véritable choc culturel». «J'étais allé en Irlande, en Allemagne, et à un moment donné, je trouvais que je n'étais pas assez dépaysé.» Il a été servi au Japon où il a travaillé dans la fonction publique et les écoles primaires, appris la langue, s'est fait des amis.

Son étonnement et sa fascination transpirent dans ce premier roman, qu'il a commencé à écrire à son retour, en 2004. «C'est un peu un concentré de ce que j'ai vu et vécu. Je m'étais toujours dit que j'écrirais un jour. Quand je suis revenu, j'ai vu que j'avais la matière pour un livre et je n'avais plus d'excuses.»

Écrit en moins d'un an, le manuscrit a ensuite passé beaucoup de temps sur les tablettes d'un éditeur. Déçu, Étienne Verstraelen l'a repris et présenté à L'instant même, qui a eu le flair de publier rapidement ce court et trépidant récit racontant le voyage d'une jeune Québécoise, Anaïs, dont la vie va de travers et qui décide de tout laisser derrière elle pour aller prendre le Transsibérien à partir de Vladivostok. Manque de pot, elle rate sa correspondance et se retrouve seule à Tokyo, sans repère, guidée seulement par son sens de l'aventure et sa curiosité.

D'une rencontre à l'autre, elle ira de surprise en surprise dans une société dont elle ne connaît pas les codes, croisant office ladies et salaryman. Débrouillarde et un peu roublarde, elle trouve le moyen de se faire embaucher dans une grande entreprise et constate peu à peu l'emprise du travail sur les Japonais. «J'ai travaillé auprès des enfants dans une maternelle, raconte l'auteur, et j'ai pu constater à quel point ils n'ont pas de temps pour développer leur imagination, jouer, être dans la lune. Ils n'ont jamais une seconde à eux et ça me faisait de la peine, surtout qu'on sait que ce sera comme ça toute leur vie.»

Absurdité

Il fallait le regard d'un étranger qui aime ce pays profondément pour pondre cette histoire à la fois drôle et pathétique. Étienne Verstraelen exagère chaque travers -»si peu parfois», dit-il en souriant. Surtout, il montre toute l'absurdité d'une société basée sur des règles très strictes, sans pour autant porter de jugement.

«Je ne veux pas que les gens pensent que je ne parle que des défauts! J'adore ce pays, j'aime ce respect qu'ils ont pour les traditions, dans les arts par exemple, et envers l'espace vital des autres. Chaque défaut a sa qualité en contrepartie.» Mais après avoir observé de près le monde du travail nippon, il avoue tout de même que l'Occidental en nous doit «fermer une switch» lorsqu'il est question d'efficacité et d'organisation. Mais le secret d'une cohabitation réussie, croit-il, est de «ne pas essayer de devenir japonais».

On pense inévitablement à l'héroïne d'Amélie Nothomb dans Stupeur et tremblements en lisant Anaïs au Japon, et Étienne Verstraelen n'en est pas surpris. «Mais le regard d'Amélie Nothomb est plus de l'intérieur, son personnage a choisi le Japon, alors qu'Anaïs observe le pays avec son oeil d'étrangère.» En écrivant, il s'est d'ailleurs beaucoup amusé à faire le parallèle avec Alice au pays des merveilles. «J'avais vécu au Japon tellement de choses invraisemblables justement, que je trouvais que c'était la meilleure façon de le raconter.» Ainsi, plusieurs personnages et péripéties correspondent à l'histoire de Lewis Caroll, qu'il a relue plusieurs fois, et à laquelle il fait de nombreux clins d'oeil. «J'aime bien les livres où il y a plusieurs couches, quand une histoire est simple et compréhensible à la première lecture, mais où après deux, trois lectures, on voit de nouvelles choses. C'est pour ça que j'aime des auteurs comme Boris Vian, Raymond Queneau, ou qu'un roman comme Cent ans de solitude m'a tellement impressionné.»

S'il apprécie les auteurs qui savent s'évader dans l'imaginaire, il a de son côté écrit un livre très concret, qui fourmille d'action et ne connaît aucun temps mort. «C'est drôle parce que dans la vie, je suis plus lent, j'aime le yoga, l'escalade, qui demandent temps et respiration. Peut-être que ça finira par influer sur mon écriture...»

Son prochain livre aura donc le même rythme et le même humour, servi par son sens de l'observation décapant, et sera, tout comme Anaïs au Japon, nourri par ses voyages. «Certains auteurs sont plus descriptifs, capables de partir de rien, de quatre murs. Ce n'est pas mon cas: j'ai essayé et le résultat n'est pas très bon. J'aime une littérature concentrée, engagée, qui raconte beaucoup de choses. J'ai besoin de beaucoup d'information pour écrire et les voyages me fournissent ça. Parfois, je vis tellement de choses en une seule journée qu'on pourrait faire un long métrage au complet!»

Anaïs au Japon ou L'invraisemblable obédience des types en noir, de Étienne Verstraelen. L'instant même, 120 pages

Anaïs au Japon ou L'invraisemblable obédience des types en noir, de Étienne Verstraelen