Hélène Rioux continue à dérouler le fil très fin de sa vaste fresque humaine dans Nuits blanches et jours de gloire, troisième partie de la tétralogie Fragments du monde qu'elle a amorcée il y a cinq ans. Comme dans ses deux précédents romans, c'est le jour du changement de saison - cette fois le solstice d'été- que se déploient tous les pans de son ambitieuse mosaïque.

«J'aime les histoires, mais je m'intéresse davantage aux liens qui existent entre elles, à leur multiplicité, dit la traductrice et auteure qui crée depuis 40 ans une oeuvre littéraire forte et cohérente. Ces liens n'ont pas d'impact sur les personnages, ils n'ont pas d'importance. Sauf pour moi, qui aime les observer !»

Ils ont de l'importance aussi pour les lecteurs, qui s'amusent à retracer le chemin entre un chauffeur de taxi haïtien et un compositeur de musique italien. De Montréal et la Toscane, en passant par le Mexique et les Bahamas, Hélène Rioux tisse entre elles toutes ces histoires qui se répondent et se reflètent, sont liées par une chanson, une émission de télé ou un match de foot, et dans lesquelles les personnages se croisent et se frôlent... «Je vois ça comme une grande toile autour de la Terre. On est un peu dans l'état d'esprit d'Internet, où chaque élément qu'on trouve nous amène ailleurs.»

Une photographie

Hélène Rioux a longtemps écrit des livres très intérieurs mettant en scène une traductrice, Éléonore, son alter ego. «Je suis allée très loin dans l'introspection et j'étais épuisée de ça. J'ai eu le désir de regarder autour ce qui se passait.»

Une nouvelle écrite en 2002 est devenue quatre ans plus tard le point de départ de cette fresque qui lui permet de parcourir le monde. L'histoire se déroulait au Bout du monde, boui-boui de quartier ouvert jour et nuit où l'on sert pâté chinois et café filtre. En isolant une scène ou un personnage, elle a créé de nouvelles histoires qui, réunies, sont devenues un roman. Devant l'immensité des possibilités, sa petite nouvelle s'est ensuite transformée en tétralogie. Et si chaque chapitre peut être compris individuellement, c'est lorsqu'on lit l'oeuvre au complet qu'elle prend toute son ampleur.

Fragments du monde est ainsi pour Hélène Rioux l'occasion de «photographier» un moment précis de la vie de ses personnages. «On me reproche parfois de ne pas aller assez en profondeur. Mais ces livres sont des flashs, des morceaux, comme lorsqu'on entend une bribe de conversation sans en savoir plus long ensuite...» Comme dans les deux premières parties, Mercredi soir au Bout du monde (prix France-Québec, prix Ringuet et finaliste au prix du Gouverneur général) et Âmes en peine au paradis perdu, Nuits blanches et jours de gloire commence au Bout de monde. «J'aime bien l'idée que toutes ces histoires aient leur origine dans un lieu si simple. On est toujours le bout du monde, l'exotique de quelqu'un.»

Plus sombre

Au début de ce troisième livre, tout ne va pas pour le mieux: le patron du Bout du monde vient de quitter sa femme et sa nouvelle flamme veut révolutionner ce petit univers en le transformant en resto à la mode. Malgré son titre éclatant, cela donne le ton à un roman qui, s'il a ses moments de drôlerie, se déroule sous le signe de la trahison, du mensonge et de la gloire éphémère.

Hélène Rioux l'avoue, cette troisième partie est la plus sombre. «Je l'ai écrite pendant une période difficile, alors que des gens très près ont été malades, sont morts. De toute façon, je ne suis que le messager!» Par exemple, elle n'avait pas du tout prévu un événement dramatique impliquant deux amis et un billet de loto gagnant, mais cette situation a fini par s'imposer au moment d'écrire. «Je travaille sans plan et j'ai besoin d'être dans ma bulle pour entendre la voix de mes personnages. Mais écrire n'est pas ce qui me demande le plus de temps. Le plus long, c'est la préparation, les lectures que je dois faire.»

C'est que l'oeuvre d'Hélène Rioux n'est pas déconnectée de la réalité et elle se documente autant sur Cortès et la Lost Generation que sur les pirates et la gastronomie italienne. L'art, l'histoire et la culture lui servent à tisser la trame de ses romans. «Mes personnages doivent avoir un lien entre eux, mais aussi avec l'Histoire. Car si on est tous liés sur Terre, nous le sommes aussi à notre passé, si lointain soit-il.»

La dernière partie de sa tétralogie n'est pas encore commencée, mais elle sait déjà que le mot ombre fera partie du titre. A-t-elle l'intention de boucler la boucle pour tout le monde? «Ça va être difficile parce que j'ai beaucoup de personnages. Est-ce qu'on retrouvera Fanny(une adolescente disparue dans le deuxième tome)? Je ne sais pas encore. Ça arrive, des gens qui disparaissent et qu'on ne retrouve jamais. Peut-être que des personnages resteront en plan mais la vie c'est ça aussi, parfois on perd des gens de vue. Et ce livre est comme un miroir de la vie.»

Nuits blanches et jours de gloire, Hélène Rioux, XYZ, 244 pages