Comme «la femme qui marche» qui traverse l'oeuvre de Michael Snow, qu'elle évoque et dont elle se fait une semblable, une soeur, ou une rivale, Régine Robin parcourt les villes, les très grandes villes, celles qui comptent au moins 10 millions d'habitants dans lesquelles, petit bout de femme, elle aime se fondre, silhouette dans les foules, seule dans les cohues d'heures de pointe, s'embrigadant du bon pied dans les théories de piétons inconnus et de passants pressés. Elle flâne, les autres vont au boulot, en métro; elle fait ses dodos dans les hôtels près des gares ou mieux, les hôtels intégrés aux gares, comme à Kyoto dont elle snobe les temples; bref elle aime le mouvement des villes, le grouillement des indigènes des mégapoles, elle court, elle court, autant les banlieues, c'est qu'elle cherche la ville de demain. Urbaine plus qu'urbaine.

 

Sociologue, historienne, professeur, elle a tout lu sur la ville, du savantasse allemand au ludique perecien, et pour ce Mégapolis, son nouvel ouvrage, toutes analyses bues elle a décidé de reprendre sa liberté, d'être pleinement écrivain, l'écrivain promeneur qui suit la femme qui marche, la voyageuse qui a réduit ses bagages et qui va, de bus en bistrots, de pavés en cafés, à New York, à Los Angeles, à Londres, à Tokyo et Buenos Aires pour tout voir, tout regarder, tout entendre; comme elle l'écrit, tout «dévorer». Avaleuse de feux de circulation, mangeuse de néons, croqueuse de carrefours. Bref, si elle aime jusqu'à la ville d'autoroutes sans coeur qu'est L. A., c'est qu'elle est mordue, Régine Robin.

«Je ne suis que dans et par les villes, mais elles me fuient, je les aime parce qu'elles m'échappent constamment», écrit-elle; on comprend que sa passion des villes monstres est un chassé-croisé à n'en plus finir, ce qui donne à la lecture de Mégapolis un caractère de sport, on le lit au pas de course, c'est une chasse ouverte, du slalom entre quartiers, ce qu'ils cachent et montrent, une épreuve de vitesse avec les tentacules vivants de la bête urbaine.

En circulant dans ces villes, ce n'est pas l'original et sa ruine que traque Régine Robin, ceux qui la lisent savent que ça fait des lustres qu'elle a renoncé à ce qu'elle appelle «les fantasmes de l'authenticité»; c'est plutôt la reproductibilité technique qui la fascine, ou la copie autrement dit; c'est une vraie radicale, la flâneuse qui nous annonce que l'original s'évanouira à tout jamais; et c'est ainsi que, fidèle à elle-même qui a découvert ces villes au cinéma dans sa jeunesse, cinéphile plus qu'avertie, elle peut écrire: «Mes villes sont avant tout des villes de cinéma.» Des villes fantasmées. Du Métropolis de Fritz Lang au Mégapolis de Robin, la poétique triomphe sur le tourisme. Et la dialectique traverse la rue.

Mégapolis - Les derniers pas du flâneur

Régine Robin Stock, 401 pages, 39,95$

****1/2