À deux jours de la remise des prix littéraires du Gouverneur général, mardi à Montréal, Daniel Lemay a rencontré deux des finalistes: des voisins de Lanaudière...

Dans la république du Plateau, coin Rachel et Saint-Denis, la proximité des gens de lettres est chose acquise mais, dans la montagne de Lanaudière, il en va autrement. La coïncidence - quelles sont les chances, statistiquement? - m'a sauté aux yeux, l'autre jour à la lecture du communiqué: deux des finalistes aux prix du Gouverneur général sont des voisins. Mes voisins. Des «voisins de paroisse», comme disait mon père, mais qui ne se connaissent pas. Je ne les connaissais pas non plus...

 

Jean-Pierre Trépanier, mon voisin de Rawdon, a exercé plusieurs métiers, dont tailleur de pierres en Belgique (c'est Obélix qui livrait...). Le chômage l'a conduit en prison (comme employé) où il s'est retrouvé bibliothécaire, lui, grand lecteur des classiques.

Peintre à ses heures - il pourrait en vivre, ses murs en témoignent -, Jean-Pierre Trépanier a écrit son premier roman à 50 ans: Le sauvage blanc (JCL, 2004), inspiré de la vie de Pierre-Esprit Radisson, alias Oningha. Six ans plus tard, loin du milieu littéraire dont il ne connaît rien, il savoure discrètement le cheminement de son deuxième roman, Colomia, publié aux Éditions du Sémaphore, une petite maison montréalaise.

Colomia est de la liste finale des «G.G.» avec deux vedettes du Boréal, Marie-Claire Blais (Naissance de Rebecca à l'ère des tourments) et Monique Proulx (Champagne), de même que Jean-François Beauchemin (Ceci est mon corps, Québec-Amérique) et Guillaume Corbeil (L'art de la fugue, L'Instant même).

«Jamais peut-être n'aura-t-on franchi le mur d'une prison avec une telle lucidité et une telle compassion», dit de Colomia le jury du Conseil des arts du Canada qui administre les prix littéraires du Gouverneur général. «Honoré d'être en si bonne compagnie», Jean-Pierre Trépanier ne se cache pas pour autant derrière une fausse modestie: «Colomia - j'ai choisi ce nom parce qu'il sonnait doux - est un bon petit livre où il est davantage question de réhabilitation que d'incarcération.» Mais le chemin de la réhabilitation est plein d'embûches, comme le constate Colomia... et son créateur, devenu agent de programmes sociaux dans un pénitencier à sécurité minimum.

«Votre héros est un criminel lettré. De l'extérieur, on aurait tendance à croire que la lecture, en dedans, est une activité importante...

Les détenus ne lisent pas plus, ni moins, que les gens dehors: ceux qui lisaient continuent de lire et ceux qui regardaient la télé ne changent pas non plus. Par contre, les détenus écrivent plus de lettres, car l'accès au téléphone est limité et il n'y a pas d'internet.»

Écrits, dits ou lus, les mots participent au défi unique de Colomia: «faire face». Le nouveau défi de Jean-Pierre Trépanier: terminer ce polar dont il a déjà écrit 135 pages.

La voisine

Pour sa part, Louise Warren a quitté la ville pour Saint-Alphonse-Rodriguez (adjacent à Rawdon, à l'est), un village connu d'abord pour la boucherie-charcuterie du Belge Pierre Staner.

Mme Warren habite à deux pas, sur la rive d'un lac où elle se consacre à son oeuvre de poète et d'essayiste, commencée il y a 25 ans avec le recueil L'amant gris (Triptyque).

Je l'ai rencontrée au campus de L'Assomption du Collège régional de Lanaudière où enseigne son mari. L'amphithéâtre était plein pour cette conférence sur son livre Objets du monde - archives du vivant, deuxième oeuvre d'une trilogie dont le dernier volet, La forme et le deuil - archives du lac, est finaliste dans la catégorie Études et essais des «G.G.».

«J'ai été finaliste en 2002, en poésie, pour La lumière, l'arbre le trait», nous dira cette ancienne drop-out du secondaire, qui s'est retrouvée chargée de cours de littérature jeunesse à l'UQAM, puis à McGill. «J'avoue que le fait que mes pairs aient remarqué ma prose poétique m'a un peu surprise.»

Mme Warren note par ailleurs que les finalistes de cette année sont d'horizons et de styles très différents. À côté du récit de l'ancienne journaliste Adèle Lauzon (Pas si tranquille, Boréal), on retrouve les carnets de l'écrivain André Major (L'esprit vagabond, Boréal), puis deux livres d'universitaires: Partita pour Glenn Gould (PUM) du philosophe Georges Leroux et Hors-temps - Poétique de la post-histoire (VLB Éditeur) de Pierre Ouellet, déjà lauréat d'un «G.G.» en 2006.

Dans La forme et le deuil, qui propose des textes de thématiques et de formes variées (de quatre mots à 20 pages), l'art occupe la place centrale, parce que dépositaire ultime de la forme, base de toute la réflexion de Louise Warren: «On devient ce que l'on regarde tant on en est imprégné», lit-on dans le chapitre intitulé L'invention du regard. Ainsi défilent des artistes que l'auteure a rencontrés dans ses nombreux voyages; leurs oeuvres - denses, difficiles, comme cette lectrice de Merleau-Ponty dit les aimer -, que l'on ne verra jamais ici, nous parviennent «reformées» dans les mots: «J'ai cette habileté de faire parler une oeuvre.»

Cette même habileté mène Louise Warren à transcender l'ordinaire des formes les plus quotidiennes: une urne funéraire, des traces de patin sur le lac. «Le rapport à l'extraordinaire est essentiel dans la démarche et le discours de l'artiste.»

Les lauréats des prix littéraires du Gouverneur général seront annoncés mardi.

LES FINALISTES DE LANGUE FRANÇAISE

ROMANS ET NOUVELLES

> Ceci est mon corps de Jean-François Beauchemin (Québec Amérique)

> Naissance de Rebecca à l'ère des tourments de Marie-Claire Blais (Boréal)

> L'art de la fugue de Guillaume Corbeil (L'instant même)

> Champagne de Monique Proulx (Boréal)

> Colomia de Jean-Pierre Trépanier (Sémaphore)

POÉSIE

> Le rosier incendiaire de Steve Auger (Le Sabord)

> Nous aurons tout vécu de François Charron (Écrits des Forges)

> Morceaux de tempête de Henri Chassé (Écrits des Forges)

> La lenteur du monde de Michel Pleau (Éditions David)

> Du vertige et de l'espoir: carnets africains de Michel A. Thérien (Éditions David)

THÉÂTRE

> La vie continue de Yvan Bienvenue (Dramaturge Éditeurs)

> Serial Killer et autres pièces courtes de Carole Fréchette (Leméac)

> Omaha Beach de Catherine Mavrikakis (Héliotrope)

> Le soleil ni la mort ne peuvent se regarder en face de Wajdi Mouawad (Leméac)

> La liste de Jennifer Tremblay (Éditions de la Bagnole)

ÉTUDES ET ESSAIS

> Pas si tranquille d'Adèle Lauzon (Boréal)

> Partita pour Glenn Gould: musique et forme de vie de Georges Leroux (PUM)

> L'esprit vagabond d'André Major (Boréal)

> Hors-temps: poétique de la posthistoire de Pierre Ouellet (VLB Éditeur)

> La forme et le deuil: archives du lac de Louise Warren (L'Hexagone)

LITTÉRATURE JEUNESSE

> Trente-neuf de Camille Bouchard (Boréal)

> Les trois lieues de Sylvie Desrosiers (La Courte échelle)

> Ophélie de Charlotte Gingras (La Courte échelle)

> Sales crapauds de François Gravel (Québec Amérique)

> Fred Poulet enquête sur une chaussette de Carole Tremblay (Dominique et compagnie)

ILLUSTRATIONS JEUNESSE

> Philippe Béha pour Les pays inventés d'Henriette Major (Hurtubise HMH)

> Stéphane Jorisch pour Un cadeau pour Sophie de Gilles Vigneault (La Montagne secrète)

> Marie Lafrance pour Le sorcier amoureux de Mireille Levert (Dominique et compagnie)

> Caroline Merola pour Quand le chat est parti (La Courte échelle)

> Janice Nadeau pour Ma meilleure amie de Gilles Tibo (Québec Amérique)