Il n'est pas facile de départager les sales types, qui méritent le mépris, les psychopathes, qui inspirent la pitié, et les imbéciles, qui laissent indifférent. Les uns et les autres ont leur place dans la fiction, qui peut se passer de normalité, de morale et de bons sentiments. S'il faut choisir, disons que le protagoniste des Extraits du carnet d'observation de la femme est un imbécile qui tend vers la folie, pour lui concéder une complexité qu'il n'a pourtant pas. Oisif de nature, contemplatif si on veut, il veut comprendre les femmes! Il pourrait essayer de les aimer, étape utile d'un apprentissage aussi ambitieux, mais il n'aime que lui-même, vice bien solitaire dans son cas, car il n'a ni maîtresse ni amis.

Plutôt que de séduire une femme, il choisit d'en piéger une, jeune Française de province en quête de logement à Paris. Il arrête son choix après avoir vu quelques autres candidates, qu'il a évaluées selon leur mine et leurs attributs physiques, de la manière la plus méprisante qui soit. La pauvrette, futée pas plus qu'il ne le faut, mettra bien du temps à se rendre compte que son hôte, qu'elle trouve un peu inquiétant, est surtout dangereux. Elle se réveillera quand les indices deviendront des preuves aussi grosses que l'ego du locateur.

 

Celui-ci ne se contente pas d'espionner discrètement la jeune femme, lisant son journal et guettant ses allées et venues. Il a installé tout un arsenal de gadgets. Il a percé un trou dans un placard, pour regarder la jeune femme dans son lit, seule ou avec un amant. L'amant est nul, selon lui, et il s'empresse d'alerter la légitime de l'infidèle. Cette bassesse ne lui suffit pas. Il a posé dans la salle de bains une glace sans tain. Les gestes les plus intimes lui sont ainsi révélés : toilette intime, épilation ou changement de serviette sanitaire.

L'entreprise est non seulement dégoûtante, elle est stupide aussi. Car notre bonhomme prend des risques qu'un cinglé intelligent éviterait. Se parfumer par exemple avec les produits de la demoiselle, sans même penser que cet emprunt sera découvert dès qu'elle rentrera du travail. Mais elle ne sent rien... Un retournement de situation, qui contribue à l'incohérence générale du récit, transforme notre homme en travesti. Il ne voulait donc pas connaître les femmes pour être un homme meilleur, mais pour devenir l'une d'elles, au moins par la symbolique vestimentaire. Même un auteur compétent, et capable de subtilité, aurait su éviter la narration laborieuse et les dialogues insignifiants de ce roman. Il n'aurait pas pu sauver cette sordide histoire de la mocheté et du ridicule.

Extraits du carnet d'observation de la femme

Rodolphe Lasnes

Leméac éditeur, 160 pages, 18,95$

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