Depuis quelques années, une mode «d'Ormesson» balaie la France, si bien que des commentateurs ont proposé un nouveau verbe à la première personne du pluriel, «ormessons», qui décrit un état d'esprit optimiste volontariste. À l'occasion de la sortie du second recueil de ses nouvelles et essais dans la collection «Bouquins», Ces moments de bonheur, ces midis d'incendie, et du tout petit Guide des égarés chez Gallimard, La Presse s'est entretenue avec l'écrivain de 91 ans.

Vous entrez à la Pléiade, on publie de nombreux articles flatteurs à votre endroit, on vous demande votre avis sur tout et sur rien, même certains jeunes semblent vous admirer. À quoi cela est-il dû?

Je n'aurais jamais pensé entrer à la Pléiade. Et Le Monde a publié 12 pages sur moi cet été [rires]. Il y a des écoles Jean-d'Ormesson, des médiathèques. Je prends tout ça avec beaucoup de plaisir et de bonne volonté, je ne dirais pas avec indifférence, mais un peu d'ironie. Si j'étais mort il y a 20 ou 25 ans, j'aurais écrit quelques livres, mais je ne serais pas connu comme aujourd'hui.

Pourquoi êtes-vous populaire dans une certaine frange de la jeunesse?

Quand j'ai publié Au plaisir de Dieu, en 1974, un récit romancé sur ma famille, j'avais des lecteurs un peu âgés qui étaient très proches de cette histoire. Mais depuis 30 ans, je n'ai pas cessé de rajeunir mon public. Ça me fait le plus grand plaisir. Je suis beaucoup à la télévision à cause de mes livres, quand les jeunes m'arrêtent dans la rue, je vois bien à leur conversation qu'ils m'ont vu plutôt que lu ou qu'ils m'ont écouté à la radio. C'est une illustration très forte du rôle de l'image aujourd'hui, qui l'emporte sur la parole. J'ai évidemment été très aidé par l'imitateur français Laurent Gerra. Et par le jeune chanteur Julien Doré qui a fait tatouer mon nom sur son épaule.

Pensez-vous que les jeunes vous trouvent rassurant?

C'est amusant, ils vivent sur leur tablette ou leur téléphone et je suis une espèce de monstre préhistorique pour eux. En même temps, je crois qu'ils ont vu en moi une espèce de gaieté. La vie n'est pas très très drôle pour les jeunes gens aujourd'hui, le chômage frappe très cruellement. Quand j'avais 20 ans, au milieu du siècle dernier, ce n'était pas facile, mais beaucoup plus qu'aujourd'hui. Je crois que les jeunes me sont reconnaissants de ma gaieté qui n'est pas du mépris ou de l'indifférence, pas non plus de l'optimisme béat. Je représente peut-être l'un des rares écrivains ou personnages publics qui leur donnent encore une espèce d'espérance. 

D'où vous vient cette gaieté?

J'aime la forme de légèreté qui cache peut-être un peu de profondeur. Mozart l'illustre bien. Je descends de serviteurs du roi du côté de mon père et de régicides du côté de ma mère. Je prends tout ça comme une espèce de roman. Vivre est une affaire merveilleuse qui finit mal puisqu'on meurt. Mais il faut accepter la mort. C'est ce que j'essaie d'expliquer dans le Guide des égarés.

Avant la mort, il y a souvent des souffrances qu'on peut aujourd'hui éviter avec l'euthanasie. Où vous situez-vous dans ce débat?

J'ai toujours été en très bonne santé, mais j'ai vécu une épreuve médicale il y a trois ans. J'ai vu dans les hôpitaux une misère terrible, des gens qui souffraient physiquement et moralement. L'euthanasie me paraît quelquefois quelque chose de très légitime, ce peut être une libération. Mais naturellement, vous voyez bien le danger que ça représente, la tentation terrible de faire disparaître ceux qu'on veut. Il faut des précautions multiples comme pour l'avortement. 

Dans l'un des essais de Ces moments de bonheur, vous parlez de l'importance des racines. Que pensez-vous aujourd'hui du débat entre les partisans d'une intégration européenne plus grande et ceux d'un retour à l'État-nation?

J'ai toujours été à droite de mes amis de gauche. Mais récemment, ces anciens communistes ou trotskystes m'ont dépassé sur ma droite. Glucksman, Onfray. Il y a un grand mouvement de droite en Europe. Je suis contre le Front national, comme j'étais contre les socialistes. Mais je refuse de les considérer comme des ennemis. Le Front national me fait un peu peur, avec la sortie de l'Europe et de l'euro et la fermeture complète des frontières, mais il ne faut pas le diaboliser parce que 30 % de la population française vote Front national. Dans l'idée qu'on doit considérer comme irresponsables ou tenir pour des monstres les gens qui votent Front national, il y a un problème pour la démocratie.

Le Guide des égarés est une plaquette regroupant une trentaine d'essais portant chacun sur un mot. Pourquoi déroger à votre habitude d'écrire long?

J'ai besoin d'écrire. Quand je n'écris pas, je tombe malade. Mais mon prochain livre sera peut-être posthume. Alors j'ai décidé de me faire plaisir. J'ai toujours été fasciné par le livre du même nom écrit au Moyen Âge par Maïmonide [philosophe juif d'Andalousie]. J'ai décidé de répondre à ma façon, avec légèreté, aux questions fondamentales: d'où venons-nous? pourquoi vivons-nous?

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Ces moments de bonheur, ces midis d'incendie. Jean d'Ormesson. Robert Laffont. 1423 pages.

Guide des égarés. Jean d'Ormesson. Gallimard. 120 pages.

Image fournie par Robert Laffont

Ces moments de bonheur, ces midis d'incendie, de Jean d'Ormesson