Une éducation catholique, le nouveau roman de Catherine Cusset, n'est pas un livre contre la religion. Même si dans cette autofiction, l'écrivaine française se rappelle une enfance parisienne marquée par la honte, la culpabilité et l'angoisse du confessionnal.

L'éducation catholique de Marie, son alter ego littéraire, n'a en effet rien de strict ni d'austère, a-t-elle souligné lors de son passage à Montréal, à la fin du mois d'avril, à l'occasion du festival Metropolis Bleu. «Je n'en ai pas souffert. Au contraire, j'ai cru avec ferveur et j'étais extrêmement heureuse d'être catholique jusqu'à l'âge de 13 ans.»

Enfant, elle ne détestait ni le catéchisme ni la messe qui la liaient à son père, très croyant, et qui représentaient pour sa mère, d'origine juive et athée, «deux occasions hebdomadaires de se débarrasser» d'elle et de sa soeur.

«Pour ma mère, ça ne pouvait que faire du bien, raconte-t-elle. Et en plus, c'était gratuit.»

Un mois après la profession de foi de Marie, Ximena entre dans sa vie. Et «Dieu en sort», écrit Catherine Cusset, «comme si ce n'était plus une activité de son âge». D'un jour à l'autre, Marie arrête la messe, la confession, la communion - «toute cette charlatanerie». Dieu est remplacé par cette grande amie dont l'autorité naturelle et la vaste culture la fascinent, première incarnation humaine du Tout-Puissant dans son univers d'adolescente.

Souvenirs de jeunesse

Quarante plus tard, l'écrivaine, qui vit entre New York et la France depuis plusieurs années, a cherché à comprendre comment sa foi avait pu subitement «tomber». «J'ai commencé à réfléchir sur la trace que cette éducation catholique avait laissée dans ma vie.»

Munie de son sens habituel de l'autodérision, Catherine Cusset ranime ses souvenirs du catéchisme, de la première communion, «ces moments importants» qui ont construit son enfance.

Mais le roman ne s'arrête pas après qu'elle a cessé de croire. Sa foi disparue, la honte et la culpabilité subsistent, de même que cette haine de soi qui lui a donné l'envie d'en finir. Là encore, point de drame dans le rappel des événements, rien que ce regard amusé sur ce qui lui apparaît aujourd'hui comique.

Puis survient la mort précoce de son neveu à l'âge de 5 mois - première irruption du «réel» dans la vie de Marie et sans doute la dernière fois, à 18 ans, qu'elle croit au dieu de son enfance. Cette étape essentielle lui permettra de sortir «de l'enfermement de soi et de la haine d'elle-même», explique Catherine Cusset, puisque tout, à côté de la mort, lui paraîtra désormais d'une vanité totale.

Avec Samuel, son premier grand amour, elle associera directement amour et souffrance. Elle confiera tout - ses faiblesses, ses trahisons - à celui qu'elle surnomme «Dieu de souffrance», croyant qu'elle pouvait le crucifier et qu'il souffrirait sur sa croix sans jamais se révolter.

«Je me suis aperçue, en écrivant, que cette éducation catholique s'était transformée en une éducation sentimentale. Elle avait complètement pétri mon rapport à l'autre. Le rôle que jouent la culpabilité et la honte, le lien entre l'amour et la souffrance, la détestation de la superficialité, du désir et de la vanité humaine venaient d'une échelle de valeurs apprise dans mon éducation catholique.»

«Apprendre à aimer»

Une éducation catholique, c'est aussi un roman de la jeunesse, dit-elle. «L'adolescence est l'âge de la formation du moi, de la découverte de soi et du questionnement incessant sur qui on est. C'est l'âge où l'on cherche la réponse chez l'autre sans arrêt, où l'on cherche à être défini par l'autre.»

Si ce roman a un message, poursuit l'auteure, c'est que toute relation d'amour n'est possible que si l'on parvient à se débarrasser de la peur. «La peur d'être seul, la peur de vivre, la peur de faire du mal à l'autre, la culpabilité. Cette peur que j'appelle Dieu», écrit-elle au moment où elle prend conscience de ce savoir nouveau.

Une éducation catholique s'inscrit par ailleurs dans la continuité de ses précédents ouvrages, puisque l'on y retrouve un «matériau commun» et cette même franchise dans l'écriture qui caractérise entre autres La haine de la famille et Jouir. À la différence que celui-ci est un roman de la maturité, précise Catherine Cusset, un roman qui aurait pu s'appeler «Apprendre à aimer».

«Qu'est-ce qu'on apprend d'une relation à l'autre?, s'interroge-t-elle. Ce n'est pas un éternel recommencement avec uniquement des erreurs. À chaque fois, quelque chose s'apprend.»

Dans cette capacité à concevoir la vie comme un apprentissage et à croire en l'amélioration de soi, l'écrivaine, fidèle adepte du progrès, reconnaît avec humour l'héritage de son éducation catholique.

Il y a aussi ce désir d'être «vraie» qui la pousse, à la manière de Rousseau dans ses Confessions, à s'exposer en racontant ces «petites choses» du passé qui nous font honte. «Les livres d'autofiction répondent souvent à une question. Ils ont besoin de s'écrire, et on ne peut pas les forcer.»

Catherine Cusset aime les écritures au «je» - cette première personne qui exige tant de courage, à son avis -, et se dit très sensible à ceux qui sonnent faux. Elle s'est lancée récemment dans la relecture de Marcel Proust, dont elle a lu l'oeuvre pour la première fois à 15 ans, afin d'y puiser l'inspiration nécessaire à son prochain projet d'autofiction. «Il a une telle présence. Voilà un vrai "je" de l'autofiction», s'exclame-t-elle.

Une éducation catholique. Catherine Cusset. Gallimard. 144 pages.

Catherine Cusset en quatre romans

La haine de la famille (2001)

Marie, le double fictionnel de Catherine Cusset qui revient dansUne éducation catholique, s'attarde ici avec humour sur ce père «bienheureux» à qui elle ressemble le plus, mais surtout sur sa mère, l'avocate devenue juge que rien ne contente. «Quand j'ai commencé à écrire La haine de la famille, explique l'écrivaine, je réfléchissais sur ce que j'avais hérité de mes parents. Et finalement, ç'a donné un roman de 300 pages sur le rapport mère-fille.» Cette mère qui ne s'est toujours pas remise de la guerre se demande comment elle a pu faire quatre enfants, alors qu'elle déteste le bruit, les querelles et les repas à préparer. En fin de compte, Marie remontera jusqu'à sa grand-mère pour raccorder le fil familial.

Confessions d'une radine (2003)

Ingénument drôle, cette autofiction est une réflexion sur le rapport à la possession et à l'argent, selon l'auteure. «Je vivais à Prague peu après la fin du communisme. Soit il n'y avait rien à acheter, soit c'était très bon marché, mais j'avais encore des réflexes d'économie!» La fourmi qui aurait aimé être née cigale raconte comment, de l'enfance à l'âge adulte, elle s'épuisait à rechercher les bonnes affaires. Mais être radin, écrit-elle, ce n'est pas simplement avoir du mal à ouvrir sa bourse; c'est entretenir une attitude de suspicion, de calcul et de paranoïa. Économe jusque dans les mots, elle en viendra même à se demander si ce n'est pas par radinerie qu'elle écrit - pour «rentabiliser» tout ce qu'il lui arrive.

Jouir (1997)

C'est le premier ouvrage où les amies adolescentes d'Une éducation catholique font leur apparition, brièvement, sans être nommées. Sous forme de scènes fugitives, l'auteure raconte sans tabous la naissance de ce désir qui la poursuivra jusqu'à la rencontre de son mari, des années plus tard, et ses diverses expériences sexuelles. Désemparée par moments de se retrouver seule, elle n'aspire qu'à un regard sur une piste de danse, une aventure d'un soir, une simple présence à ses côtés pour combler sa «faim d'hommes». Toujours avec cette ligne floue séparant le désir de l'amour.

New York, journal d'un cycle (2009)

Ce court récit, publié 13 ans après avoir été écrit, plonge dans l'intimité de son couple et de leurs difficultés à avoir un enfant. Entre les larmes et les frustrations, la narratrice se réfugie dans les rues de New York et le long de l'Hudson, dont elle aime «l'odeur de la mer et les clapots». Son désir de bébé, qui n'est selon elle «qu'un piège biologique», se mue en «calculs de probabilité». Alors que son mari américain lui reproche de détruire l'espace qui lui permet de désirer un enfant, elle tente d'apprendre, contre vents et marées, à perdre le contrôle «dans une douce acceptation des choses».