Champion incontesté des palmarès depuis quatre ans, le Français Guillaume Musso est de retour ce printemps avec L'instant présent, son 13e roman en 11 ans. Comment fait-il pour être aussi régulier dans sa production?

«C'est un rythme que je me suis imposé sans en être vraiment le maître, dit-il. Par ailleurs, mes romans ont une maturation plus longue: pour mon précédent, Central Park, ça faisait 10 ans que je voulais écrire sur la maladie d'Alzheimer et il m'a fallu tout ce temps pour trouver l'axe, l'histoire. Mais neuf mois pour écrire, c'est amplement de temps, et aussi assez court pour garder la tension.»

Nous avons joint Guillaume Musso au téléphone à Paris, la semaine dernière, après un drôle d'imbroglio. Le décalage horaire ayant été mal calculé parce que les Français n'avaient pas encore avancé l'heure, nous l'avons appelé une heure avant celle prévue pour lui. «Je suis désolée, je ne le trouve pas et il ne répond pas à mes textos», nous a dit son assistante. «On se croirait dans un livre de Guillaume Musso!», a-t-on rigolé, car l'auteur aime bien jouer avec la notion du temps et de l'espace dans ses livres. «Oui, si ça se trouve, il va venir sonner à votre porte dans cinq minutes!»

Guillaume Musso ne s'est pas téléporté à Montréal, mais nous avons fini par lui parler pour discuter de ce nouveau roman qui, comme Central Park, se déroule à New York, ville qui semble lui porter chance. «New York est une ville que je connais depuis mon adolescence, nous dit-il. Beaucoup de mes idées de romans sont nées là-bas. C'est une ville où mon imaginaire se débride plus facilement qu'à Paris, qui est pour moi davantage la ville du quotidien.»

Mais contrairement à Central Park, qui se passait presque en temps réel sur une durée de 24 heures, L'instant présent se déroule... en 24 ans. C'est que son héros, Arthur Costello, a subi une malédiction qui l'a fait carrément s'évaporer de la surface de la Terre, pour n'y réapparaître qu'une heure par année. C'est cette heure de vie intense que raconte chaque chapitre du roman.

«J'ai eu l'idée de ce livre il y a trois ans environ, dans un phare à Cape Cod. Le jour, c'était très calme et apaisant. La nuit, quand le temps changeait, l'atmosphère devenait inquiétante comme dans un roman de Stephen King.» Guillaume Musso a ainsi imaginé que ce phare était le lieu d'un étrange secret, qui se transforme en un lourd héritage pour qui franchit une porte interdite. Arthur Costello l'apprendra à ses dépens...

«Cette idée d'une malédiction liée au phare a été l'étincelle pour parler de la notion d'héritage, qui traverse tout le livre. Et j'étais dans un moment de ma vie où j'avais envie d'écrire sur ça: ce qu'on transmet aux enfants, dans quelle mesure le poids de notre héritage familial va influer sur nos actes, quel tri on va faire à partir des influences contraires qu'on a pu recevoir dans notre vie», explique le romancier de 40 ans, qui est papa depuis deux ans.

Et aussi, il s'est posé cette question centrale pour bien des parents: «Pourquoi le fait d'avoir un enfant nous rend à la fois beaucoup plus fort et beaucoup plus vulnérable? Tout le roman tourne autour de cette interrogation.»

Malgré cette réflexion existentielle, L'instant présent reste du pur Musso divertissant, qui mélange histoire d'amour, éléments de surnaturel et suspense. On sent aussi que l'auteur s'est amusé à insérer dans chaque chapitre des références culturelles - technologie, musique, cinéma, littérature, politique - qui nous ramènent particulièrement bien dans les années 90.

«C'est si loin et si proche, les années 90! Ce n'est pas si éloigné de nous, mais en même temps, ça commence à être l'Histoire.» Il avait envie, dit-il, de décrire le passage du temps pour cette génération, la sienne, «prise entre deux siècles». La petite histoire fait ainsi écho à la grande - et vice versa! - dans ce roman où le temps file à toute allure, métaphore de la vie qui passe si vite.

«Mon héros est débordé par le temps avec plus d'intensité, c'est certain, mais nous aussi, on l'est. Nous sommes tellement écartelés entre les regrets liés au passé et l'anticipation du futur qu'on en oublie de vivre le seul moment qui compte vraiment, celui de l'instant présent. D'où le titre du roman.»

Succès

Avec un revirement final qui donne au roman une perspective nouvelle, L'instant présent est probablement le livre le plus personnel de Guillaume Musso, estime-t-il. «Mais il n'est en rien autobiographique. C'est aussi une interrogation sur la création, comment on écrit, pourquoi on le fait.»

S'il est conscient de son immense succès, il essaie de ne pas trop y penser pendant qu'il écrit. «Sinon ce serait paralysant! Je fais mon travail sérieusement, comme un artisan, sans angoisse démesurée face au succès.» Il sait cependant que le public a accès à beaucoup de fiction intéressante et bien faite, particulièrement avec les séries télé, ce qui représente un défi pour l'auteur qu'il est.

«Continuer à surprendre les lecteurs demande des efforts d'imagination. Je trouve ça stimulant qu'il y ait autant de fiction de qualité. Cela dit, j'ai toujours eu un souci du rythme, du mouvement. Mais quand j'écris, ma seule recette - je le dis entre guillemets -, c'est d'écrire le roman que j'aimerais lire comme lecteur.»

En chiffres

22 millions: Nombre d'exemplaires de ses livres vendus dans le monde.

38: Nombre de langues dans lesquelles ses livres sont traduits.

900 000: Nombre d'exemplaires grand format vendus en France de son précédent livre, Central Park, son plus gros succès.

55 000: Nombre d'exemplaires grand format de Central Park vendus au Québec. Le tirage initial de L'instant présent ici est de 50 000 exemplaires.

400 000: Tirage initial de L'instant présent en France. Le livre est déjà réimprimé à 70 000 exemplaires une semaine après sa sortie.

Extrait de L'instant présent

- Lisa, continue, s'il te plaît, qu'est-ce que tu veux me dire?

Mais la jeune femme restait muette, tétanisée par ce à quoi elle assistait.

Mes oreilles bourdonnèrent. Il y eut le bruit désormais familier de l'aspiration et cette impression toujours déstabilisante de se dissoudre.

- Arthur! cria-t-elle.

Mais mon corps avait déjà disparu.

Toujours en léger décalage, je m'en rendis compte alors, mon «esprit» demeura sur les lieux une ou deux secondes supplémentaires.

Juste le temps de voir Lisa, dans sa belle robe, s'évanouir sur la pelouse.

Sur le banc, à côté, Poil de Carotte lâcha son cornet de glace et secoua sa mère.

- T'as vu, maman? T'as vu, dit? La reine des fées, elle a fait disparaître son amoureux!