David Foenkinos a causé la surprise à l'automne en remportant le prix Renaudot et le Goncourt des lycéens. Un doublé jamais vu pour un roman, Charlotte, que rien ne destinait à de tels honneurs. Nous avons parlé avec lui de ce livre qui a marqué l'année littéraire française et de sa vie.

Avec ses comédies douces-amères, David Foenkinos est abonné au succès depuis ses débuts. L'auteur de La délicatesse a rompu avec cette recette gagnante avec Charlotte, qui raconte l'histoire vraie de Charlotte Salomon, peintre juive qui est née à Berlin en 1917 et dont le destin tragique - elle est morte à Auschwitz à l'âge de 26 ans, enceinte - n'a d'égal que l'immensité de son talent.

Passionné et habité par l'oeuvre de Charlotte Salomon, David Foenkinos est surtout heureux de l'impact de son livre... pour elle. «Tout ça est tellement inattendu et très fort émotionnellement parce que ça signifie que des milliers de personnes la découvrent. C'est émouvant pour un auteur, cette capacité de faire partager une passion. Les distinctions ont apporté un éclairage encore plus fort sur elle, et ça m'a rendu fou de joie.»

L'Histoire qui prend sa revanche finalement... «C'est vrai. Quelqu'un m'a dit récemment que tous les prix que j'ai reçus, c'est un peu comme ceux qu'elle n'a jamais pu aller chercher.»

Mission accomplie

David Foenkinos est lucide et sait très bien que le succès du livre était loin d'être garanti, même s'il n'a jamais «cherché le public» avec ce projet. «Je le sais, ce qu'ils disaient, les gens, cet été. Ils me trouvaient fous de faire ça! Moi-même, je ne m'attendais pas à en vendre beaucoup. Il paraît puissant, ce livre, en ce moment, mais ce n'était pas le cas au début...»

Quatre mois après sa sortie et deux prix plus tard - le livre a également été finaliste au Goncourt -, Charlotte s'est vendu à 400 000 exemplaires, est présentement no 1 des ventes en France et a su rallier, à quelques exceptions près, le public et la critique.

L'auteur de 40 ans a consacré huit ans de sa vie à Charlotte Salomon. Il est allé sur ses traces à Berlin et dans le sud de la France, où elle s'est exilée et a créé son oeuvre autobiographique Vie? ou théâtre?, avant d'être dénoncée et envoyée au camp de concentration. «On m'a souvent regardé comme un psychopathe, avec mon obsession», admet-il. Mais il peut maintenant dire mission accomplie.

«En fait, juste de le terminer et d'arriver à mettre des mots sur ce que je ressentais, c'était déjà mission accomplie. Alors ce qui se passe, c'est vraiment au-delà de mes espérances.»

L'écrivain a longtemps cherché la forme que le livre devait prendre. Tellement qu'il a cru qu'il «n'existerait jamais». «J'ai dû le recommencer dix fois, et il semble que la dernière était la bonne.» La décision de l'écrire «à la ligne» (une phrase, une ligne), donnant à son roman l'allure d'un long poème, s'est finalement imposée. Un choix osé, qu'il assume complètement.

«Quand j'ai compris que ce livre avait besoin de ça, ça m'a complètement libéré. Ça adoucit le récit, à l'image de l'oeuvre de Charlotte qui est pleine de lumière. Et puis, il y a un rythme de traque, de fuite qui fait que les gens courent un peu avec Charlotte, dont la vie a été une fuite permanente.»

Fierté

S'il est fier de ses deux prix - «Le Renaudot, c'est extrêmement prestigieux, je m'inscris dans une lignée que je trouve magnifique» -, David Foenkinos a une tendresse particulière pour le Goncourt des lycéens. «Tous ces jeunes qui parlaient de Charlotte comme si elle était entrée dans leur vie, comme si elle existait maintenant...»

Dans le concert d'éloges, quelques notes discordantes ont accusé l'auteur de se bâtir une crédibilité sur le dos de la Shoah. «Oui, je sais, vous faites allusion aux Inrock. Mais je ne crois pas qu'on puisse imaginer une seule seconde qu'il y ait une possibilité opportuniste là-dedans. Un auteur comme moi, avec cette image grand public, avait tout à perdre en faisant un livre là-dessus. Ça aurait pu être le bazooka dans tous les sens. Moi, je crois qu'on peut être multiple, aimer l'humour et la peinture allemande en même temps.»

Et puis, même si le destin de Charlotte est lié aux événements mondiaux, David Foenkinos, lui, n'a pas l'impression d'avoir écrit un livre sur la Shoah. «On ne peut pas résumer l'existence d'une telle femme à sa seule finalité. J'ai voulu la raconter dans son identité propre, remettre dans le présent une femme brillante, cultivée, moderne et fascinante.»

Chose certaine, il y aura dans la vie de Foenkinos un avant et un après Charlotte. Que fait-on après un livre comme celui-là? «Je ne sais pas. D'habitude, j'ai plein d'idées les unes après les autres. Là, non. Je suis allé au bout du bout pour faire ce livre. Et je le vis encore pleinement parce que je n'ai pas d'autre projet.»

Il suit de près le montage d'expositions qui s'en viennent, la traduction des livres, les rééditions de catalogues, et espère qu'un projet de film naîtra de tout ça. «Et je collecte encore de nouvelles informations sur Charlotte, je suis encore complètement, entièrement avec elle. Ce qui est certain, c'est que je ne suis pas près d'écrire un autre livre.»

Charlotte

David Foenkinos

Gallimard, 224 pages

Extrait

Sur le chemin du retour, elle respire profondément.

Ce jour-là, c'est la naissance de son oeuvre Vie? ou théâtre?

En marchant, elle pense aux images de son passé.

Pour survivre, elle doit peindre son histoire.

C'est la seule issue.

Elle le répète encore et encore.

Elle doit faire revivre les morts.

Je dois aller encore plus profondément dans la solitude.