Mahigan Lepage propose, dans Fuites mineures, «douze tounes» qui sont autant de chants sur les splendeurs et misères de la jeunesse en cavale aux quatre coins du Québec. Parce que pour conquérir le monde, il faut d'abord partir et que fuir, c'est parfois se sauver. Entretien avec un écrivain nomade.

Nombreux sont ceux qui reconnaîtront leur adolescence dans les Fuites mineures de Mahigan Lepage. Mentir à ses parents, rater l'école, faire du pouce, fumer du hasch au couteau, gober des buvards, jalouser ses amis qui ont des blondes, trouver sa «gang», glander beaucoup et jouir de toutes les errances... On ne s'étonne pas que l'écrivain cité en exergue soit Kerouac.

Mais le projet de Mahigan Lepage, Prix Émile-Nelligan 2012 pour Relief, auteur des récits Vers l'Ouest et Coulées, n'a rien à voir avec la nostalgie. «Rien ne me serait plus étranger», dit l'écrivain de 34 ans que nous avons joint en Équateur, où il étudie l'espagnol et poursuit son apprentissage... de la boxe thaïe!

«On choisit de s'éteindre ou non, et ça nous regarde. C'est simplement la créativité que je retrouve, pas la nostalgie. Cette énergie qu'on a tous, ça vaut le coup de l'entretenir, mais elle n'est pas exclusive aux adolescents. Pour moi, ce livre a été une façon de rallumer le feu de l'incendie que j'avais dans la tête plus jeune, et j'espère que ça va produire le même effet dans d'autres têtes.»

Le narrateur de Fuites mineures accuse cette «hypertrophie du lobe frontal» qui finit par atteindre l'adulte et tuer le goût du risque, la spontanéité, voire l'inconscience. Toutes ces explorations de l'adolescence, dont on rit parfois plus tard et qu'on met sur le compte de la niaiserie, sont pourtant la clé du champ des possibles chez Mahigan Lepage.

«On est monomaniaque quand on est adulte et on ne s'en rend même plus compte. Ce n'est pas vrai que c'est toujours bien de tout prévoir, tout penser, tout rationaliser. Repasser par l'adolescence, les fuites, la drogue, c'est refaire surgir d'autres configurations de neurones, qui ne sont pas invalides.»

Le style de Mahigan Lepage a quelque chose de lancinant. Son expérience des lectures publiques est capitale pour lui, qui veut toujours aller plus loin dans l'oralité. Dans ses fuites, on tourne en rond, frénétiquement, autour des mêmes obsessions, les maladresses y sont nécessaires, les hontes sont cuisantes, et le narrateur ne cesse de se répéter comme pour bien mesurer ce nouveau réel qu'il tente de créer en fuyant celui imposé par la famille, l'école et la société.

«Ce sont des spirales, précise-t-il. C'est un entraînement, une énergie, une puissance. C'est un rythme, comme une course, une marche des refrains. C'était aussi l'idée d'être dans un présent continuel. Le narrateur brûle d'avance ce qui viendra après. C'est ça, l'esprit du livre, on ne fait pas de réserves, on n'essaie pas de construire les choses à l'avance. On fonce.»



La vie, c'est le mouvement

Pour Mahigan Lepage, «la vie, c'est le mouvement» et son besoin d'espace est «insatiable». Tout de suite après avoir remis sa thèse de doctorat en littérature, il a pris le large, il s'est lancé dans des «fuites majeures» en quelque sorte, visitant de nombreux pays, tout en écrivant sans cesse, ce qui lui a permis d'entretenir son blogue très touffu, Le dernier des Mahigan (www mahigan.ca).

«Rester mobile, c'est comme ça que je me sens bien. Quand je suis quelque part, mais qu'il y a toujours un horizon pour aller ailleurs. Au fond, l'espace, je le conquiers beaucoup plus en écrivant qu'en ayant vécu. Les fuites que je raconte, ce sont des points d'intensité que j'ai retracés dans mon parcours, des petits points sur une longue ligne de platitude. Je suis retourné où ça courait, où c'était fou, et je me suis éclaté. Après coup, c'est une victoire et une revanche.»

_______________________________________________________________________________

Fuites mineures. Mahigan Lepage. Mémoire d'encrier, 197 pages.