Immédiatement après avoir abdiqué pour la seconde fois, ayant perdu la bataille de Waterloo en 1815, Napoléon s'est rendu à Rochefort pour fuir vers les États-Unis. Mais une escadre anglaise l'y attendait et l'empereur déchu s'est résigné à demander asile à son ennemi. Il a été envoyé en exil à l'île de Sainte-Hélène, au large du Brésil, loin de toute civilisation, et y est mort en 1821.

Il aurait suffi de peu pour que Napoléon échappe aux Anglais et gagne l'Amérique. C'est la voie qu'a choisi de suivre Ginette Major, spécialiste montréalaise du multimédia à la retraite qui vient de publier le deuxième tome de cette existence imaginée où Napoléon vit 19 ans de plus, passant presque directement de son lit de mort au Panthéon.

«J'ai eu l'idée de ce roman en visitant le château de Fontainebleau, qu'aimait Napoléon», explique Mme Major, en entrevue dans un café de la rue Bernard. «À la boutique, j'ai acheté le Mémorial de Sainte-Hélène, le journal d'exil du comte de Las Cases. Il raconte que Napoléon voulait aller aux États-Unis, « le seul pays où (il) puisse être entièrement libre «. J'ai commencé à lire la vie de Joseph Bonaparte, qui a passé le reste de ses jours au New Jersey et était un point de chute obligé des Français en Amérique. Ça m'a convaincue qu'on pouvait explorer la pensée de Napoléon et l'Amérique française à partir de cette modification à l'histoire.»

Reçu par Jefferson

Le résultat rappelle vaguement Les beaux esprits, segment de la défunte émission Les beaux dimanches de Radio-Canada (Mme Major n'a jamais regardé cette série d'entrevues avec de grands personnages). Dans le deuxième tome, Napoléon est acclamé quand il visite La Nouvelle-Orléans et est reçu par l'ex-président Thomas Jefferson. Après un troisième tome, Mme Major veut écrire un autre livre sur la période, pour exploiter les nombreuses lectures ayant servi à la préparation de son Napoléon.

C'est la première parution de Mme Major, si on ne compte pas un livre sur le cinéma québécois issu de son mémoire de maîtrise. Elle a participé en 1985 à la création de la Cité des arts et technologies de la science, a présidé à l'exposition Images du futur pendant 11 ans, après avoir dirigé pendant 15 ans la programmation de Vidéotron.

Quel est le lien entre le multimédia et l'histoire? «Ma première passion est la littérature et l'histoire, mais je ne voulais pas enseigner. À un certain point, je n'ai plus eu besoin de gagner ma vie et j'en ai profité pour retourner vers l'histoire.»

Un autre lien plus concret est l'utilisation du web pour ses recherches. «Sans l'internet, j'aurais dû déménager en France pendant six mois pour consulter des archives. J'ai eu accès à des journaux et des lettres d'époque sans quitter mon bureau. J'ai pu limiter mes voyages aux lieux importants pour mon histoire, les deux propriétés de Napoléon à l'île d'Elbe, lieu de son premier exil, Monticello, la propriété de Jefferson, La Nouvelle-Orléans. Je n'ai pas été à Sainte-Hélène, c'est trop loin, mais comme on y construit une piste d'atterrissage, ça sera peut-être possible.»

Son roman dépeint un Napoléon qui désire idéalement la paix en Europe. Le portrait anglo-saxon d'un assoiffé de gloire militaire est-il donc inexact? «J'ai voulu lui laisser la parole. Mais j'ai inclus des discussions avec des gens qui lui soulignaient ses contradictions, ses actions qui étaient contraires à la paix. Par exemple, la répression du soulèvement des esclaves en Haïti.»

Était-elle consciente de participer à un genre, l'uchronie, en vogue chez les anglophones sous le nom d'alternate history? «Je ne connais pas l'uchronie anglophone. Mais je sais qu'en français, c'est assez mineur. Remarquez, Giscard d'Estaing a imaginé l'an dernier que Napoléon avait gagné en Russie.»

Pour rester vraisemblable, Ginette Major a évité de modifier les événements historiques autres que l'exil de Napoléon. «Ce qui m'intéresse, c'est l'Amérique française, à une époque où Paris était la capitale culturelle du monde. Et le point de vue de Napoléon sur l'Amérique, ce pays qui avait même imaginé ne pas avoir d'ambassadeurs tellement il voulait se dissocier des habitudes européennes. On le voit avec le Tea Party aujourd'hui. Aux États-Unis, on peut vraiment tout remettre en question au chapitre de la politique.»

Napoléon, l'exil en Amérique, Tome II

Ginette Major

VLB, 300 pages, 27,95$

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