De passage à Montréal pour le dernier Festival Metropolis bleu, l'écrivain new-yorkais francophile Daniel Mendelsohn nous a parlé de son nouveau livre, L'étreinte fugitive. Écrit avant Les disparus, L'étreinte fugitive constitue la première partie d'une vaste enquête identitaire présentée sous la forme d'un triptyque, mais le livre paraît tout juste en traduction française.

Avant d'entamer Les disparus, cet imposant ouvrage sur les membres de sa famille massacrés par les nazis en Ukraine (prix Médicis étranger 2007), Mendelsohn avait écrit une enquête beaucoup plus intime, menée jusque dans les plus petites mailles du tissu identitaire, soit son initiation sexuelle, son rapport au désir et aux constructions de l'enfance. Pour pénétrer les arcanes de l'identité, Mendelsohn ne se contente pas d'un auto-examen, greffant à son récit des digressions sur les mythes classiques, la tragédie grecque, l'étude de la langue et de la culture juive, qui forment un contrepoint à son expérience personnelle. «Je me suis servi de moi-même comme lentille pour voir des choses plus abstraites», explique-t-il, dans un français élégant. «Je ne dirais pas que c'est un livre sur moi-même. Mes expériences sont les outils qui me permettent de parler de choses universelles.»

 

L'étreinte fugitive décompose les multiples facettes de l'écrivain juif qui est aussi critique littéraire, professeur de grec ancien, homosexuel et père adoptif. Mendelsohn met en relief la multiplicité de l'être humain, avec, comme point d'ancrage, sa propre expérience. «Ma vie est particulièrement hybride. Je suis le modèle idéal pour parler de la dualité.» Afin de réconcilier tous ces morceaux épars, Mendelsohn se plonge tout d'abord dans le récit détaillé des pratiques sexuelles de la communauté gaie new-yorkaise, avec ses codes, ses secrets et ses lieux-cultes. L'écrivain observe avec un certain recul cette vie de plaisirs éphémères qu'il a lui-même menée durant plusieurs années, la confrontant, entre autres, à son expérience de père adoptif. «Les pires critiques que je reçois pour ce livre viennent de la presse gaie», avoue l'écrivain avec le sourire. «C'est comme si je révélais des secrets familiaux. Un des aspects controversés de mon livre pour les lecteurs gais, c'est d'admettre qu'une vie complètement centrée sur le plaisir et les expériences du soi peut devenir vide. À Chelsea, dans les années 90, c'était vraiment la poursuite du plaisir et du divertissement constant, qui ne signifie pas beaucoup à la fin d'une vie.» L'expérience de la paternité a fait naître chez l'auteur le sentiment d'être «un membre de la race humaine» inscrit dans la continuité.

Existe-t-il une véritable identité homosexuelle? «Nous nous définissons par ce que nous désirons et donc, il y a quelque chose qui est inné dans l'homosexualité», avance l'auteur, «mais la culture gaie est une tout autre question, parce qu'elle est construite par l'oppression. Les gais auront-ils encore besoin de ghettos sans l'oppression?» se demande l'écrivain. Par ce besoin de vivre en marge des centres, Mendelsohn établit un rapprochement entre les identités juive et homosexuelle. «Il me fallait rompre avec mes mythes, juifs et gais, pour construire une réalité différente, un peu improvisée, qui veut dire une vie.» Longtemps fasciné par le mythe de la belle mort, entre autres, Mendelsohn dit avoir troqué les séduisantes chimères pour le chaos de la vie. «Les mythes sont beaux, parce qu'ils sont compréhensibles, bien formés, avec un commencement, un milieu et une fin. La vie est beaucoup plus compliquée et désordonnée, mais il faut étreindre la réalité confuse de la vie», explique-t-il.

Avec L'étreinte fugitive, Mendelsohn lève donc les masques sur son passé, une démarche apparentée à celle de la psychanalyse que l'auteur a pratiquée 16 ans. Les disparus «traitent aussi de cette idée que les mythes que nous aimerions vrais dissimulent une réalité beaucoup plus complexe et difficile à définir. Toute famille vit selon ses mythes et ce n'est pas important qu'ils soient vrais», ajoute l'auteur.

La jolie plume de Mendelsohn, hybride, comme l'homme, nous emmènera prochainement vers l'exil. Poursuivant sa quête sur l'identité et ses rapports à la culture, l'auteur s'apprête à s'exiler un an à Paris pour comprendre son attirance pour la culture française. Une expérience qui promet d'être riche et multiforme.

L'étreinte fugitive

Daniel Mendelsohn Traduit par Pierre Guglielmina Flammarion, 284 pages, 29,95$ ****