Il vient d'avoir 50 ans, est un designer industriel de renom et un prof d'université fatigué, et décide sur un coup de tête de partir pour Venise. Là-bas, il s'installe dans un hôtel où il a séjourné 20 ans plus tôt, et arpente les rues et les ponts de la Sérénissime. Mais sa lassitude se transformera en maladie - la dégénérescence musculaire causée par la sclérose latérale amyotrophique, communément appelée SLA, est en train de le tuer à petit feu.

Il y a chez Éléonore Létourneau cette capacité à entrer dans les moindres recoins de l'âme de ses protagonistes, dans ce qu'elle a de plus tangible. C'était déjà le cas dans ses deux excellents premiers romans, Notre duplex et Les choses immuables. Elle va encore plus loin ici, puisque la particularité de la SLA est que même si le corps se déglingue, l'esprit reste vif et agile, prisonnier d'une carcasse de moins en moins mobile.

Elle fait donc le pari de suivre chaque méandre, chaque détour du cerveau de son narrateur, qui vogue à travers ses souvenirs, ses regrets, ses victoires, ses ambitions, ses peurs, ses amours ratés. Et qui, face à lui-même, ne peut plus se raconter de mensonges - quoique... À l'image d'une Venise envahie par les marées et qui s'enfonce dans la lagune, son corps perd donc ses fonctions une à une. Mais sa conscience, aiguisée, puis de plus en plus éthérée, reste le fil conducteur de ce roman parfois difficile à lire physiquement tant les effets de la maladie y sont concrets et douloureux.

Rarement a-t-on lu un livre aussi juste sur notre finalité à tous, sensible sans sensiblerie. La solitude des derniers moments est accentuée par cette langue étrangère dont le narrateur est entouré - mais n'est-on pas toujours seul face à la mort ? Il n'y a pas d'erreur: je suis ici est un roman à lire pour toutes les personnes qui s'interrogent sur la mort, qui cherchent non pas une réponse, mais plutôt à trouver un écho à leurs questionnements et leurs angoisses.

On ne peut qu'être ébahi par le talent d'Éléonore Létourneau, par son écriture précise et dense, par sa profondeur, sa rigueur et sa lucidité. Voilà une écrivaine qui sait raconter la beauté du monde - sublime et fragile Venise vue à travers son regard -, qui n'a pas peur d'aborder les grandes questions existentielles de front, et qui ajoute avec intelligence sa contribution à cette quête inassouvie de ce qu'est l'humain dans son essence même.

* * * 1/2

Il n'y a pas d'erreur: je suis ici. Éléonore Létourneau. XYZ. 156 pages.