Complémentaire de Chronique d'hiver (Winter Journal, 2012), cet ouvrage autobiographique de Paul Auster est une «exploration de (son) esprit» sur son cheminement intellectuel à partir de souvenirs de l'enfance.

L'écrivain âgé de 67 ans se remémore les références culturelles de sa jeunesse: les magazines de BD, les émissions de télé, les films, tout ce qui a forgé son imaginaire et sa volonté de raconter. C'est l'âge des découvertes, l'amorce de la conscience de soi, la prémisse que Dieu «est aussi démuni que les hommes devant le mal» et l'impression que la vie sur Terre est d¹abord le fait d'inégalités.En écrivant à la deuxième personne pour dissocier l'enfant de l'homme mûr qu'il est devenu et pour mesurer le poids de l'acquis, Auster rappelle que si ses deux parents n'aimaient pas lire, il s'est mis, dès l'âge de sept ans, à se nourrir de livres, «jusqu'à quatre par semaine». Il n'y a pas de secrets...

Il découvrait alors qu'un écrivain se glisse dans l'esprit d'un personnage pour raconter une histoire qui n'est pas la sienne. À neuf ans, il écrit son premier poème. C'est l'époque également de sa passion naissante pour le baseball, passion qui passe aussi par l'écriture puisqu'il écrit des lettres à ses joueurs préférés. Le sport et la culture iront toujours par deux chez Paul Auster.

À 11 ans, il écrit sa première oeuvre, un roman policier d'une vingtaine de pages qu'il lit, non sans fierté, devant sa classe. Puis, il évoque longuement (un peu trop) deux films qui ont marqué son jeune âge, L'homme qui rétrécit (The Incredible Shrinking Man, 1957), qui éclaire sa lanterne sur la condition humaine. Et Je suis un évadé (I am a Fugitive from a Chain Gang, 1932), qui développe sa pensée critique et l'éveille notamment sur la singularité de la justice américaine.

L'ouvrage s'achève avec des extraits de lettres écrites à sa première femme, Lydia, dont il tire des souvenirs parfois déjà abordés dans d'autres ouvrages, sur les débuts difficiles de l'écrivain, ses doutes de créateur, sa vie à Paris quand il était étudiant, son retour à New York et la rébellion de l'Université Columbia en 1968.

Alors, oui, Excursions dans la zone intérieure permet de retrouver la musicalité d'une écriture à nulle autre pareille, celle d'un auteur si attachant et brillant qu'on est prêt à lui pardonner de ne pas nous éblouir à chaque page. Oui, le livre convainc aisément que la lecture pave la voie de la liberté d'un enfant. Mais après trois livres introspectifs ou analytiques, l'heure a peut-être sonné de nous servir un autre Timbuktu, un The Music of Chance, un Mr Vertigo voire un Oracle Night. On a faim!

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Excursions dans la zone intérieure (Report from the Interior), Paul Auster, Actes Sud/Leméac, 370 pages.