C'est sans doute le rêve de tout auteur de science-fiction et d'anticipation: empêcher le lecteur de dormir. Avec son premier roman, 2054, Alexandre Delong a en tout cas réussi à troubler le sommeil d'au moins une critique.

C'est que sa dystopie (le contraire de l'utopie) possède suffisamment de points communs avec 2013 pour que tout ou presque semble possible... Avec son titre qui rappelle le célèbre 1984 de George Orwell, ce roman rédigé de façon fluide suit le jeune docteur Ethan Price, qui vient de terminer sa résidence au CHUM! Il est à ce point doué que sa cote à la Bourse du capital humain (indice HCSX) pulvérise les records.

Nous sommes en 2054, et tous ceux qui exercent une profession sont en effet cotés en Bourse et achetés par des entreprises mondiales. Ceux qui ne sont pas des «actifs» sont relégués loin des prestigieuses «globalopoles», soit dans une ville-réseau, une ville-comptoir, une ville-frontière ou, pire, dans l'arrière-monde. Brillant, Ethan Price est un as de l'orthogénie, science des manipulations génétiques pour concevoir des foetus sur mesure. Sa gérante se charge de faire monter les enchères, alors qu'une lutte sans merci se déroule entre le NYGH (consortium médical occidental) et la Shaiming Corp (son pendant asiatique), sur fond de «démocratie de marché» au sens mercantile de la chose...

Habitué à respecter scrupuleusement les règles, Ethan est secoué par Julian, son frère anticonformiste. Pour communiquer, les deux frères jouent à un jeu virtuel à succès, inventé par le très doué Julian: «LAPD», qui recrée les enquêtes policières d'un certain détective Harry Bosch et de l'agent Terry McCaleb (oui, les personnages des polars de Michael Connelly!).

Afin de relater tout ce qui va suivre sous les yeux effarés du lecteur, Alexandre Delong privilégie deux modes: la narration classique et la reproduction des messages sur le téléphone supra-intelligent d'Ethan, avec un fil de nouvelles concocté par Universal Media, qui ressemble étrangement à ce qu'on voit sur de nombreux sites et applications actuels...

Pour écrire 2054, Delong a pu s'appuyer sur son propre parcours: études politiques en France, en Angleterre et à Laval (MBA en gestion internationale), travail en Bolivie (comme conseiller en commercialisation pour une coopérative de producteurs d'alpagas située sur l'Altiplano), mais aussi pour l'Office Québec-Amériques pour la jeunesse, jusqu'à ce qu'il décide de se consacrer à l'écriture, vers 2009. C'est tout cela qui étoffe incroyablement l'aspect réaliste, ou en tout cas probable, de ce roman étonnant qui mêle médecine, finance, politique, technologies, etc., avec même quelques pointes d'humour grinçant («l'aéroport intrasystémique Jean-Charest»?). Oh, il n'est pas sans défauts, ce premier roman. Un foisonnement d'adjectifs, un personnage principal qui peine à comprendre la situation, une seconde partie un peu moins convaincante et moins serrée... Cela dit, 2054 demeure un roman d'anticipation extrêmement efficace, extrêmement crédible. Et effrayant.

* * * 1/2

2054. Alexandre Delong. XYZ. 344 pages.