Plonger dans le nouveau roman de John Irving, son 12e, c'est partir en voyage dans l'oeuvre et la vie du romancier. En fait, mieux on connaît l'homme et le fruit de son travail, plus on est à même d'apprécier Dernière nuit à Twisted River. On y retrouve ses thèmes fétiches - absence du père, perte des êtres chers, initiation sexuelle précoce, statut de l'écrivain; des situations, des apparitions et des lieux familiers: le New Hampshire, des ours, de la lutte, des corps tatoués, une main blessée, une fellation «fatale», Toronto; des situations rocambolesques, des tragédies familiales, des rebondissements imprévus; des hommes et des femmes colorés pour porter le tout.

Et il y a plus. L'auteur du Monde selon Garp ne s'est pas caché que les personnages de ce roman sont un amalgame de ceux de ses livres précédents - et que l'un d'entre eux, Daniel Baciagalupo, est une déclinaison de lui-même: tous deux sont nés en 1942, ont évité le Vietnam en devenant pères, sont devenus écrivains sous un pseudonyme et n'ont connu le succès qu'avec leur quatrième roman, ont signé un livre où l'avortement sert de toile de fonds, etc.

Savoir tout cela n'est pas essentiel au plaisir de lecture, mais l'amplifie.

Bref, Dernière nuit à Twisted River suit, de 1954 à 2005, le destin de Daniel et de son père, Domenic. À l'ouverture du roman, ils vivent à Twisted River, un camp de bûcherons où l'on fait de la drave. Dominic y est cuistot. Il est veuf et vit avec Daniel, qui a 12 ans. Autour d'eux, Ketchum le bûcheron qui lit des romans en guise de préliminaires à l'amour; Pam Pack-de-Six qui porte bien son nom pas très féminin; un shérif surnommé Cow-Boy, pas commode et soupçonneux; une belle Indienne qui partage ses charmes très abondants entre ledit shérif et Dominic... jusqu'au jour où Daniel la tue accidentellement - il l'a prise pour un ours. Père et fils déguerpissent, se devinant poursuivis par Cow-Boy. Cette traque se poursuit de décennie en décennie, en filigrane de ce qui devient l'histoire de deux vies, puis de trois quand Daniel devient père. La filiation est un autre des thèmes de prédilection de John Irving. Il le traite ici à cette manière qui est tellement la sienne, avec une originalité parfois teintée d'absurde d'où la tendresse et l'émotion peuvent surgir au détour d'une situation, d'une phrase, d'un battement de coeur.

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Dernière nuit à Twisted River. John Irving. Seuil, 561 pages, 34,95 $.