En proposant une définition plus restrictive de ce qu'est un essai littéraire, le Conseil des arts du Canada a provoqué une onde de choc dans le milieu de l'édition. Malgré le ton rassurant du président de l'organisme, Simon Brault, on craint que le financement des essais politiques et engagés ne soit menacé. Retour sur un dossier qui inquiète le milieu de l'édition.

Qu'est-ce qu'un essai? La réponse à cette question est importante, car elle pourrait avoir un impact sur les subventions de plusieurs maisons d'édition québécoises et canadiennes. Après une longue réflexion entamée en 2004, le Conseil des arts du Canada, qui a vu son budget doubler en 2016, a soumis il y a quelques mois un nouvel énoncé qui balise ce qu'est un essai littéraire. Une définition «en entonnoir», selon plusieurs, et qui soulève de nombreuses inquiétudes dans le milieu de l'édition.

L'organisme subventionnaire précise désormais qu'un essai littéraire «doit présenter un texte réflexif où le point de vue et l'opinion de l'auteur sont dominants». Selon le Conseil des arts, «les essais admissibles ont recours à un style littéraire et aux techniques propres aux genres narratifs. Ils doivent contribuer de façon marquée à la littérature, à l'appréciation des oeuvres d'artistes ou d'auteurs canadiens ou encore à la connaissance des arts».

Les essais menacés?

La réaction du milieu de l'édition n'a pas tardé: on trouve le nouvel énoncé du Conseil des arts ambigu et flou, et cela crée beaucoup d'insécurité.

Dans ce nouveau contexte, un essai sur l'environnement ou l'économie d'Alain Denault ou encore un essai féministe de Martine Delvaux seront-ils encore subventionnés? L'automne dernier, certains éditeurs s'imaginaient déjà en train de rogner dans leurs budgets. On le sait, les essais sont rarement les «meilleurs vendeurs» en librairie. Ils arrivent loin derrière les livres de recettes, les romans et les biographies. Ils jouent toutefois un rôle important: stimuler le débat public, provoquer le choc des idées, participer à la vie démocratique. Or le marché francophone est trop petit pour que cette catégorie littéraire soit viable sans une aide financière récurrente. «Il n'y a pas vraiment de tradition d'essais au Québec, note Mark Fortier de Lux Éditeur, l'éditeur d'Alain Denault et d'Aurélie Lanctôt. Un bon essai au niveau du style, du fond et de la forme, c'est rare. Il existe des vedettes comme Serge Bouchard qui vendent plus de 10 000 exemplaires, mais en temps normal, quand on s'approche de 1000 exemplaires vendus pour un titre, on est contents. À 2000, on est vraiment contents, et entre 4000 et 8000, ça veut dire que ça marche fort.»

«Il faut travailler fort en amont pour un essai. C'est normal qu'il ne s'en publie pas des tonnes par saison, car il s'agit d'un gros risque financier», estime Anne Migner-Laurin, éditrice aux éditions du remue-ménage.

«Nous, on tient à continuer à faire nos livres, et si nos subventions diminuent, on devra réduire notre tirage et notre budget de promotion pour compenser», poursuit-elle.

«Le domaine de l'essai devrait être appuyé, car il s'agit d'un marché trop petit pour être viable», renchérit Pascal Assathiany, grand patron des éditions du Boréal. Les changements du Conseil des arts provoquent surtout des problèmes pour la traduction. La subvention couvrait 100 % de la traduction d'un essai, qui peut coûter de 15 000 à 20 000 $, sans compter la révision. Est-ce qu'on aura encore les moyens de traduire David Suzuki ou John Saul, si nous ne sommes plus admissibles à une aide à la traduction? On peut se poser la question.»

Des propos rassurants

Le dossier a évolué au cours du dernier mois. Fin décembre, une lettre rappelant l'importance de l'essai et signée par plusieurs acteurs du milieu culturel (associations d'éditeurs, de libraires, artistes, créateurs, etc.) a été envoyée au Conseil des arts, qui en a pris acte rapidement. Puis, le 15 janvier dernier, Simon Brault a voulu répondre aux inquiétudes du milieu de l'édition lors de l'assemblée générale de son organisme. «Le Conseil des arts est absolument engagé à continuer à soutenir l'essai comme genre littéraire», a-t-il déclaré. Il a ajouté que c'est aux jurys qui analyseraient les demandes de subvention ainsi qu'aux auteurs et aux essayistes d'essayer d'interpréter la nouvelle définition et d'«arriver avec des positions et des jugements éclairés».

Des propos qui en rassurent certains, mais qui en laissent plusieurs sur leur faim. «Les signaux demeurent encore embrouillés, note Mark Fortier de Lux Éditeur. Il n'y a pas de panique, mais une inquiétude.» Même son de cloche au remue-ménage. «Nos inquiétudes sont encore présentes et nous nageons toujours dans le flou», souligne la directrice, Anne Migner-Laurin.

«Quand on fait notre demande de subvention, les critères manquent de précision», note pour sa part Gilles Herman, directeur général et éditeur chez Septentrion, maison d'édition reconnue pour ses ouvrages historiques. 

«Nos inquiétudes ne se sont pas encore concrétisées, et nos liens avec le Conseil des arts sont très bons, on a toujours bien travaillé avec eux, alors je me dis que si ce n'est pas leur intention de ne plus subventionner les essais, qu'ils corrigent le tir.»

Chaque personne à qui nous avons parlé dit souhaiter une nouvelle définition de l'essai qui mentionnerait noir sur blanc les débats d'idées et les humanités. «On travaille en ce sens, affirme le président de l'Association nationale des éditeurs de livres (ANEL), Richard Prieur. La réponse de Simon Brault est rassurante, on poursuit les rencontres et les échanges avec les gens du Conseil. À mon avis, on va trouver une solution.»

Au final, les éditeurs devraient être fixés dans quelques semaines, au mois de mars, lorsqu'ils recevront la réponse du Conseil des arts à leurs demandes de subvention.