En ce début d'année, deux essais nous mettent en garde contre la fin du monde tel qu'on l'a connu. Et si ces auteurs refusaient plutôt la modernité?

L'heure est au pessimisme. En France, Michel Onfray annonce ni plus ni moins la fin de l'Occident.

Dans son plus récent ouvrage, Décadence, qui compte 650 pages, le philosophe exprime ses craintes par rapport aux changements qui s'opèrent dans les sociétés occidentales. Ce qu'il perçoit comme la mort du judéo-christianisme, la montée de l'islam et l'aveuglement du politiquement correct ne lui inspire rien de bon. La menace, selon lui, est double: la baisse du taux de natalité des Français et la montée de l'islam. Les musulmans qui font beaucoup d'enfants sont en train de remplacer les Français qui en font peu, a-t-il souligné en entrevue. L'islam gagne du terrain avec la complicité des universitaires et des gens de gauche qui «n'osent» pas le critiquer.

En tournée médiatique depuis le début de l'année, Onfray, une véritable vedette en France, refuse l'étiquette de pessimiste. Il définit plutôt sa vision comme «tragique».

Tout va très mal

De ce côté-ci de l'Atlantique, le sociologue Mathieu Bock-Côté n'est pas plus optimiste. Dans Le nouveau régime, un recueil d'une vingtaine de textes qu'il vient de faire paraître chez Boréal, le chroniqueur entrevoit lui aussi un avenir sombre pour la société occidentale. Il estime que nous sommes en rupture avec l'histoire, que nos assises sont en train de s'effondrer. La religion catholique, nos valeurs, notre culture commune, notre langue... Tout s'effrite. Nationaliste, Bock-Côté voit bien entendu ces changements comme une menace pour l'identité québécoise.

Comme pour Michel Onfray et plusieurs penseurs de la droite, le multiculturalisme représente à ses yeux une menace plutôt qu'une richesse. Ce que plusieurs voient comme une forme de progressisme, une ouverture à l'autre n'est pour Bock-Côté, que l'expression d'une «culpabilité», une «utopie expiatoire», une «aberration intellectuelle», un «fantasme idéologique», qui nous conduira à notre perte. Il n'est pas contre l'idée d'accueillir des immigrants, à condition qu'ils s'intègrent parfaitement et adoptent nos valeurs, reprenant ainsi l'idée du «bon immigrant». Et comme Onfray, il croit que ceux qui sont incapables de faire un lien entre islam et terrorisme sont de grands naïfs.

On ne naît pas femme...

Parmi les nombreuses causes du déclin de la société occidentale identifiées par Mathieu Bock-Côté - la consommation à outrance, l'effet néfaste des réseaux sociaux sur la démocratie, la fin des idéologies -, il y aurait également la théorie du genre. Pour la résumer brièvement, disons que cette théorie s'intéresse aux rôles sociaux que notre culture attribue aux hommes et aux femmes. «On ne naît pas femme, on le devient», disait Simone de Beauvoir.

Le chroniqueur y voit pour sa part une tentative d'effacer les différences entre les sexes. Il parle d'une véritable «révolution anthropologique». «Quelque chose de grave est en train de se passer», écrit-il, exprimant la crainte qu'à moyen terme, les hommes et les femmes deviennent des êtres indifférenciés. 

Aux yeux de Mathieu Bock-Côté, lui-même formé en sociologie et en philosophie, les travaux universitaires sur la question du genre ne valent rien. Il les qualifie de «dérive» élaborée à partir d'une «quincaillerie conceptuelle», une «excentricité appelée à passer».

Image fournie par Boréal

Le nouveau régime, de Mathieu Bock-Côté

M. Bock-Côté tire à bout portant sur Judith Butler, universitaire américaine qui a beaucoup écrit sur la question, mais qui demeure somme toute très peu connue du grand public. Or, l'essayiste affirme qu'au Québec, les groupes qui luttent contre le sexisme s'abreuvent tous à la pensée de Butler. «Depuis qu'ils ont accédé à la reconnaissance médiatique, écrit Bock-Côté, les partisans de la théorie du genre sont d'une intransigeance qui frise le fanatisme. Ils sont en guerre, en croisade...»

Étrangement, l'essayiste, qui dit s'intéresser aux changements sociaux et politiques qui transforment le Québec depuis 25 ans, passe sous silence les enjeux défendus par le mouvement féministe. Pas un mot sur l'équité salariale, la parité, le sexisme, la violence faite aux femmes, etc. 

Le chroniqueur préfère se moquer d'un enseignant qui, dans sa classe, à titre d'expérience d'un jour, a fait porter des jupes aux garçons...

À l'ère «trumpienne» et de la montée de la droite en France, les progressistes qui défendent des valeurs humanistes commencent à se sentir de plus en plus seuls. Leurs idées sont souvent tournées en ridicule; on les qualifie, avec mépris, de bien-pensants, de victimes de la rectitude politique. Les conservateurs comme Mathieu Bock-Côté devraient se sentir gonflés à bloc. Or, le chroniqueur du Journal de Montréal se sent ostracisé, il dit être traité comme un pestiféré (ce sont ses mots) parce qu'il n'adhère pas à la pensée dominante.

Étonnant de la part de celui qui écrit dans un journal très populaire et qui, jusqu'à tout récemment, avait droit à un micro deux fois par semaine à la radio publique. Il n'est peut-être pas l'invité chouchou de Tout le monde en parle, mais il s'inscrit dans un courant de pensée de plus en plus populaire. Un mouvement qui réfute à peu près tout ce qui vient avec la modernité. 

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Le nouveau régime -  Essais sur les enjeux démocratiques actuels. Mathieu Bock-Côté. Boréal. En librairie.

Décadence. Michel Onfray. Flammarion. Sortie le 9 février.

Image fournie par Flammarion

Décadence, de Michel Onfray