La ville est belle sous le blanc éclatant d'une couche de neige fraîche. Sauf que ça ne dure pas. Pire, au printemps, quand le soleil revient réchauffer l'atmosphère et que les bancs de neige recrachent progressivement les déchets qu'ils avaient contribué à cacher, la ville est tout simplement «immonde», estime la bédéiste Cab.

«Dans ces moments-là, je m'ennuie de la neige», avoue la graphiste et dessinatrice de 29 ans. Ce haut-le-coeur a été la bougie d'allumage d'Hiver nucléaire, bande dessinée qu'elle publie depuis un peu plus d'un an sur son blogue et qui sera publiée par Front Froid en 2014. «Je me suis demandé à quoi ressemblerait la ville s'il ne neigeait pas pendant seulement trois ou quatre mois, mais trois ou quatre ans...»

L'interminable hiver qu'elle a fait tomber sur la ville est, comme le titre l'indique, le fruit d'une catastrophe nucléaire. Au moment où commence l'histoire, les autorités municipales viennent d'abandonner le déneigement au nord de la rue Jean-Talon. Des quartiers entiers sont fermés et Flavie, livreuse de son métier, se déplace en motoneige.

Hiver nucléaire est un récit de science-fiction où l'étrangeté vient d'abord de ce quotidien banal parachuté dans un Montréal à la fois familier et méconnaissable. «Je ne voulais pas que ce soit apocalyptique et sombre, explique Caroline Breault. Je voulais que ce soit léger.» Pourvu qu'on puisse vraiment qualifier de «léger» un récit dans lequel on croise des mutants dans le Mile End...

La bédé par l'amitié

Graphiste de formation, Caroline Breault - dite Cab - est venue à la bande dessinée «sur le tard». Elle n'a pas passé son adolescence dans les mangas ou le coin bédé de la bibliothèque de quartier. «Je n'étais pas une grande lectrice», avoue la jeune femme. Elle se rappelle avoir pigé dans la collection de son père, toutefois: des Spirou et aussi La foire aux immortels, premier tome de la passionnante trilogie Nikopol d'Enki Bilal.

Ce qui l'a menée à bédé, c'est le dessin. Et l'insistance de son amie BOUM, aussi bédéiste (La petite révolution). «C'est elle qui m'a poussée à dessiner. Sans elle, je ne serais pas là», dit Caroline Breault de cette grande amie avec laquelle elle a notamment signé l'un des récits parus dans l'album collectif Amuse-gueules, publié en 2012 par Glénat Québec.

Hiver nucléaire, son tout premier projet d'importance, a été lancé en octobre 2012 et s'enrichit depuis d'une planche chaque semaine. Plus intéressée par les relations entre les gens que par la part de science-fiction de son histoire, elle dépeint avec un humour souriant et aussi une certaine malice la vie de jeunes adultes... qui ressemblent parfois aux hipsters d'aujourd'hui.

Publier sur l'internet, elle fait ça depuis toujours. «Même avant que tout le monde s'intéresse au web, j'avais mes galeries d'images et mes blogues, dit-elle. Chaque fois que je faisais un dessin, il fallait que je le mette en ligne, ça allait de soi, dit-elle encore. Pourquoi le garder chez moi?» Cab admet toutefois qu'en publiant Hiver nucléaire, elle cherchait aussi à savoir si elle intéresserait des lecteurs et si, parmi eux, elle trouverait un éditeur...

Elle a eu des contacts. Elle attend des réponses. Mais une chose est sûre: «Ce projet aura une version papier, assure-t-elle. Quitte à le publier moi-même à grands frais.» Elle réprime un petit rire en prononçant la dernière phrase. Imprimer en couleurs, ce n'est pas donné, elle le sait.

Mais Cab est déterminée. Elle a déjà pensé à une campagne de souscription à l'aide d'une plateforme à la Kickstarter. D'ici là, on suit sa sympathique Flavie entre les bancs de neige et les mutants sur hivernucleaire.cabfolio.com. «Savoir qu'il y a des gens qui me lisent, ça me stimule et ça me motive, dit Cab. Je ne peux pas ne pas faire ma page par semaine.»

Son top-5 de 2013

ZVIANE, LES DEUXIÈMES

«C'est mon coup de coeur bédé de l'année, j'ai été jetée par terre par la qualité du dessin, l'utilisation des ombres et l'histoire aussi. J'ai trouvé ça très beau et très bon», dit Cab de ce récit plein d'humour et de scènes osées où il est question d'amour, d'infidélité et... de musique.

BECKY CLOONAN, DEMETER

«J'ai toujours été fan de ce que fait Becky Cloonan, une Américaine qui travaille avec les gens du studio Lounak à Montréal. C'est encourageant de voir qu'un petit projet autopublié peut avoir une telle visibilité.» Demeter, décrit comme un «poème graphique», clôt une trilogie amorcée il y a deux ans avec Wolves.

EDGAR WRIGHT, THE WORLD'S END

«Tu ne sais jamais quand la part de science-fiction va débarquer dans les films d'Edgar Wright (Shaun of the Dead, Hot Fuzz). Dans celui-ci, c'est des gars qui font la tournée des bars et, tout à coup, il y a des extraterrestres. Ce n'est pas du grand cinéma, mais c'est vraiment le fun.»

NEIL GAIMAN, THE OCEAN AT THE END OF THE LANE

«Neil Gaiman est un auteur extraordinaire. Ici, c'est l'histoire d'un gars qui visite la maison de son enfance et se rappelle une petite fille qu'il avait rencontrée. Elle l'avait entraîné dans un monde magique avec des personnages féminins super intéressants.»

JENJI KOHAN, ORANGE IS THE NEW BLACK

La série diffusée sur Netflix raconte l'arrivée en prison d'une jeune femme apparemment parfaite... «Au début, on est plus dans l'humour, mais plus on avance, plus la tension augmente et les problèmes s'accumulent. Au fil de la série, on se dit que ce n'est peut-être pas une femme exemplaire...»