Dargaud a réussi a réussi un beau coup en recrutant le tandem Daniel Pennac - Tonino Benacquista pour signer le scénario du tout dernier album de Lucky Luke. Sous la plume de ces deux écrivains confirmés - et les coups de crayon du dessinateur Achdé -, le plus célèbre des justiciers de l'Ouest voit sa réputation ternie par l'arrivée d'un détective aux méthodes on ne peut plus modernes. Discussion avec deux des artisans de cet album qui sort en librairie aujourd'hui.

L'heure de la retraite a-t-elle sonné pour Lucky Luke? Un autre que lui a mis les Dalton au frais après leur dernière attaque de train. Idem pour la bande de faux-monnayeurs qui sévissait en imprimant des billets artisanaux de 2 $. Il a un wagon de retard, le «poor lonesome cowboy»... Le visage de la justice a changé dans l'Ouest américain. Le nom du nouveau redresseur de torts: Allan Pinkerton.

Le système de délation mis en place par le détective privé, paranoïaque du soupçon qui voudrait ficher tous les citoyens américains, s'avère terriblement efficace. Résultat: les prisons débordent et les Dalton se retrouvent incarcérés en compagnie de gens à peu près honnêtes. La honte. Pour désengorger les cellules - et contre toute logique - les Dalton sont libérés. Pour Joe, c'est le comble. Il doit descendre ce coyote de Pinkerton. Heureusement, Lucky Luke, retraité forcé, veille au grain.

Pour leur entrée dans l'univers de Lucky Luke, Tonino Benacquista et Daniel Pennac ont voulu remonter aux sources de l'époque où Goscinny se chargeait du scénario et Morris tenait les pinceaux. Comment? En intégrant notamment un personnage historique à leur récit, comme Goscinny aimait le faire. «Goscinny, c'était un génie, j'aime tout ce qu'il a fait», lance Tonino Benacquista au bout du fil.

Sans le savoir, Benacquista et son acolyte ont découvert une mine d'or en allant prospecter du côté d'Allan Pinkerton. «On connaissait l'agence Pinkerton, qui apparait dans plusieurs polars américains, mais très peu son créateur. On a fait des recherches et on s'est vite aperçu qu'il pouvait faire un rival sérieux à Lucky Luke. Ils auraient pu se rencontrer. Pinkerton a été un proche de Lincoln, il a joué un rôle important lors des rumeurs d'attentat du président à Baltimore. Il y avait de la matière pour écrire un scénario. Et un homme qui meurt d'une infection après s'être mordu la langue, c'est un rêve pour un scénariste.»

Achdé a aussi vu l'arrivée du détective dans l'univers de luckylukesque comme une bénédiction. «J'ai fait des recherches iconographiques: coup de bol, j'ai trouvé des photos de lui en compagnie de Lincoln. Et coup de bol, il avait une sale gueule!»

Sale gueule, certes, mais pas autant que celle de Joe Dalton, le personnage fétiche de Daniel Pennac. «Pour lui, l'album ne pouvait exister sans les Dalton. Mettre en scène la fureur de Joe a d'ailleurs été assez délicieux», reconnaît Tonino Benacquista.

Première fois

Les deux écrivains, qui se connaissent depuis plus de 30 ans, signent ici leur premier scénario commun. «Nous avons une habitude de dialogue. Nous parlons de nos projets respectifs. Quand je termine un manuscrit, je le fais lire à Daniel. Son avis m'est précieux. Il est un de mes premiers lecteurs.»

Les deux hommes se sont vite entendus sur une chose: pas question d'intégrer des allusions contemporaines à leur récit. Les double-sens, très peu pour eux. «Ça aurait été absurde d'utiliser un album de Lucky Luke pour passer des messages. Les gens cherchent des clés, mais il n'y en a pas. Certains ont même fait le lien avec la mise à la retraite forcée de Lucky Luke et la situation actuelle en France. Nous n'y avons pas pensé une minute!»

Avant de figurer dans l'album, les gags ont été testés deux fois plutôt qu'une. Si l'un ou l'autre des auteurs ne riait pas, l'histoire finissait aux ordures.

«Nous n'avons eu qu'un seul moment de litige, raconte Benacquista. Nous avons demandé à Achdé de nous représenter en hors-la-loi dans l'album. Le rêve de tout gosse de 10 ans! Or, ma tête valait beaucoup plus que celle de Pennac: 20 000 $ pour moi, 5000 $ pour lui. Je lui ai fait comprendre que j'étais beaucoup plus méchant que lui. Mais au final, les sommes ont disparu...»

Achdé aurait pu aussi s'ajouter dans cette galerie de criminels. Enfant, il a volé à la quête dominicale pendant sept semaines pour financer l'achat de son premier Lucky Luke, Phil Defer. «Quand j'ai dessiné mon premier Lucky Luke, je suis retourné à l'église et j'ai tout remboursé. Avec les intérêts!»

Passage réussi

Après le passage peu convaincant de l'humoriste Laurent Gerra dans l'univers de Lucky Luke, les fidèles du célèbre cowboy justicier peuvent être rassurés. Le «poor lonesome cowboy» a retrouvé son bagout. Merci au dessinateur Achdé, mais surtout à Daniel Pennac et Tonino Benacquista, qui redonnent à ce 76e album des Aventures de Lucky Luke l'humour et le rythme des belles années Morris-Goscinny. Les gags abondent; l'histoire se mêle habilement à la fiction... Un album jouissif qui prouve que si l'Ouest a encore besoin de Lucky Luke, les lecteurs de bédé, eux, ont besoin de savoir que les héros peuvent survivre à la mort de leur créateur.

______________________________________________________________________________

* * * *

Lucky Luke contre Pinkerton. Achdé, Tonino Benacquista et Daniel Pennac. Lucky Comics, 48 pages.