La modeste ville d'Angoulême est chaque année, pendant quatre jours, le centre mondial de la bédé. On y dénombre 200 éditeurs, 500 journalistes de tous les pays et 200 000 visiteurs. Déguisés en Dupont et Dupond, Steven Spielberg et Peter Jackson lui ont réservé un message vidéo pour le début du tournage de «leur» Tintin.

Sur le grand écran de la Cité internationale de la bande dessinée et de l'image, voici qu'apparaît la surprise du chef: Steven Spielberg et son confrère Peter Jackson, déguisés en Dupont et Dupond, lancent un tonitruant: «Welcome in Angoulême!»

Plusieurs centaines de journalistes et de curieux s'étaient déplacés pour voir et entendre Nick Rodwell, patron de Moulinsart, la société qui gère l'ensemble des droits de l'oeuvre de Hergé. Une façon de marquer le début du tournage, lundi dernier aux États-Unis, du Secret de la licorne, premier volet de la version américaine, qui en comptera sûrement deux, peut-être trois. Spielberg a toujours été un fan de Tintin. Et c'est à Angoulême, pour le 36e Festival de la bande dessinée, qu'il a réservé cette annonce.

«C'est vraiment la preuve que le festival d'Angoulême est chaque année le plus important rendez-vous international de la bande dessinée, explique son jeune directeur artistique, Benoît Mouchart, en poste depuis 2003. Notre seul rival - du moins en Occident - est San Diego, mais il se limite davantage à la production américaine et asiatique. Avec une forte inflexion côté cinéma.»

Cela fait partie des hasards ou des mystères de la vie: Angoulême est, en France, le seul festival non parisien qui soit devenu et demeuré un rendez-vous culturel international et incontournable. Mis à part les cas très particuliers de Cannes et d'Avignon.

Tous fidèles au rendez-vous

Dans ce paisible chef-lieu de la France profonde, dont l'agglomération ne dépasse pas les 60 000 habitants en comptant large, tout ce que la France et l'Europe comptent d'éditeurs et de dessinateurs de bédé se donne rendez-vous chaque année. On y dénombre un millier de professionnels et 200 maisons d'édition. Fait exceptionnel, tous les grands médias nationaux français font le pèlerinage annuel. Pour l'occasion, Libération a publié jeudi, comme chaque année, une édition spéciale «tout en BD». Les grands magazines, les chaînes de télé font des «spéciaux Angoulême». Pour ce 36e festival, on a accrédité 500 journalistes, dont une petite moitié d'étrangers - Italiens, Espagnols etc. Et aucun autre salon de la bédé, même à Paris, n'a réussi à détrôner Angoulême, dont on a rebaptisé «rue Hergé» la principale voie piétonne du centre-ville, arpentée chaque année par quelque 200 000 visiteurs.

Que ce rendez-vous quasi mondial se situe en France est moins étonnant. Car la France est véritablement le royaume de la bédé, avec une bonne demi-douzaine de géants de l'édition - Casterman, Dargaud et autres Glénat - qui affichent des chiffres d'affaires impressionnants. En 2008, même la crise qui a frappé le reste de l'édition a épargné la bédé. On a dénombré près de 4800 nouveautés, un chiffre «effarant» aux yeux de certains professionnels, inquiets de cette inflation. Mais les Français ont encore acheté plus de 40 millions d'albums, et la bédé représente encore environ 15 % du marché de l'édition, tous genres confondus. Un enthousiasme unique au monde - mis à part bien sûr le Japon, où c'est une passion nationale, et qui a d'ailleurs son «Manga building» au festival. En proportion, on vend beaucoup moins d'albums aux États-Unis.

Pourquoi cette singularité française? «Cela fait partie des traits culturels propres à la France, estime Benoît Mouchart. Il est indéniable que la France a d'une certaine manière inventé la cinéphilie. Et qu'elle est également la patrie des mordus de jazz. Peut-être la bande dessinée, à cheval sur la littérature, les arts visuels et le cinéma, convient-elle à l'esprit français.»

Mais on n'a pas vraiment le temps de philosopher. Le directeur artistique a rendez-vous dans 10 minutes pour déjeuner avec l'ambassadeur du Japon. Angoulême, centre du monde.