Ce qu'il est chiant, drôle et tragique, le narrateur de Tout savoir sur Juliette, premier roman époustouflant d'Erik Vigneault, qui s'affiche dès son entrée comme un nerd de la Littérature avec un grand L.

Ce narrateur, hyper snob et désespéré, ne tient que par l'amidon de ses détestations: en premier, la haine de ses patients puisqu'il est psychothérapeute; ensuite, Gaudí, Breton, les concerts «systématiquement mauvais», les voyages en train, les béotiens au musée, les primoromanciers - la liste est longue et jouissive.

En délire dans Barcelone, à la recherche de Juliette dont on ne saura rien sinon qu'elle est sa fille disparue aussitôt qu'il en a appris l'existence très tard, il déroule le fil de ses pensées folles, répétitives et obsédées, dans une fuite en avant où l'érudition n'est qu'une diversion de sa vie d'écrivain raté et de père avorté, en dressant l'hallucinante liste des artistes et personnalités suicidés (et tous les suicidés qui les ont entourés), comme si l'art ne pouvait mener qu'à la mort.

Cet hommage évident à Enrique Vila-Matas et Thomas Bernhard, qui débouche sur un sommet kafkaïen, s'adresse clairement à la petite communauté des grands lecteurs, pour qui la littérature se suffit à elle-même, et qui ne peut être admirable qu'en haute voltige, en se foutant royalement de se priver d'un succès populaire. Un superbe délit d'initié.

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Suicides exemplaires. Erik Vigneault. Cheval d'août. 178 pages.