La promesse de l'aube, publié en 1960, est, avec La vie devant soi (paru en 1975 sous le pseudonyme d'Émile Ajar), considéré comme l'un des chefs-d'oeuvre de Romain Gary, et comme l'un des plus beaux hommages de la littérature à l'amour maternel. En le portant à l'écran, le cinéaste Éric Barbier s'attaque à cette figure inoubliable du roman français: Mina, la mère de Romain Gary, interprétée ici par Charlotte Gainsbourg.

Le roman de la mère

C'est une phrase poignante qu'on peut lire dans La promesse de l'aube, qui explique le titre et, dirait-on, le parcours de Romain Gary: «Avec l'amour maternel, la vie vous fait, à l'aube, une promesse qu'elle ne tient jamais. Chaque fois qu'une femme vous prend dans ses bras et vous serre sur son coeur, ce ne sont plus que des condoléances. On revient toujours gueuler sur la tombe de sa mère comme un chien abandonné. Jamais plus, jamais plus, jamais plus. Des bras adorables se referment autour de votre cou et des lèvres très douces vous parlent d'amour, mais vous êtes au courant. Vous êtes passé à la source très tôt et vous avez tout bu.»

Romain Gary, né Roman Kacew en Pologne en 1914, a été élevé par Mina, sa mère célibataire, qui lui a imposé très tôt l'obligation d'avoir un grand avenir. «Tu seras un héros, tu seras général, Gabriele D'Annunzio, ambassadeur de France - tous ces voyous ne savent pas qui tu es!», dit-elle à l'enfant, écrasé par la pression et la gêne devant cet enthousiasme débordant affiché publiquement. Et, de fait, Romain Gary deviendra écrivain (remportant deux fois le Goncourt, un exploit qui ne s'est jamais reproduit), héros de la Résistance et diplomate au service de la France.

Ce que raconte La promesse de l'aube, c'est le désir désespéré d'un fils de réaliser les rêves de sa mère, et de la venger de toutes les injustices qu'elle a subies et de tous les sacrifices qu'elle a faits pour lui.

Souffle épique

Tourné dans cinq pays, avec un souci évident de reconstitution historique d'une grande beauté, le film d'Éric Barbier a voulu rendre le souffle épique qui porte le jeune Romain, de son enfance à l'âge adulte. Mais le réalisateur voulait avant tout s'attarder au couple fusionnel que forment la mère et le fils. Car ce souffle épique, c'est elle qui le lui insuffle, assez férocement. Mina ne voit que de grandes choses pour son fils, est complètement en adoration envers la France, où ils vont s'installer à Nice, entretient des fantasmes romantiques - pour elle, un homme doit se battre pour seulement trois choses : les femmes, l'honneur et la France -, le pousse à devenir un héros (même si son statut de Juif lui barre, dans un contexte raciste, les grades les plus élevés) ET un grand écrivain en même temps (La promesse de l'aube raconte l'écriture acharnée de l'un des premiers romans de Gary, Éducation européenne). Gary écrit, avec ironie, qu'il a dû se résoudre à la littérature, étant un musicien médiocre et sa mère se méfiant du destin des peintres...

Enfin, elle lui demande de tenir une promesse assez incroyable: elle lui interdit de mourir, malgré les dangers innombrables qui menacent son fils aviateur pendant le carnage de la Seconde Guerre mondiale. Elle imaginera même un plan, auquel elle renoncera, voulant que son fils parte à Berlin tuer lui-même Hitler!

Charlotte Gainsbourg est Mina

Des millions de lecteurs à travers le monde qui ont lu La promesse de l'aube ont leur propre Mina en tête. C'est l'un des grands défis du réalisateur de choisir la bonne comédienne, et l'une des grandes surprises du film d'Éric Barbier que de voir Charlotte Gainsbourg en Mina, dans un contre-emploi évident. On a rarement vu l'actrice dans un rôle aussi passionné. C'est elle, l'héroïne du film, car l'histoire s'étalant sur 30 ans, le personnage de Romain doit être incarné par trois acteurs d'âges différents (Pawel Puchalski, Nemo Schiffman et Pierre Niney).

«Je voyais qu'elle avait une compréhension intime du personnage, a expliqué Éric Barbier à propos de Charlotte Gainsbourg. Elle avait une manière très minutieuse de s'interroger à son propos, de visualiser le corps de la mère de Romain qui était une femme exubérante, concrète et physique.»

L'actrice a ainsi insisté pour une transformation physique, utilisant des prothèses pour s'arrondir. Elle a même recommencé à fumer pour jouer une femme qui était compulsive et diabétique. À la RTBF, Charlotte Gainsbourg a confié: «J'étais très surprise qu'Éric Barbier me fasse confiance pour un rôle pareil, parce qu'on ne m'a jamais proposé quelque chose de cette ampleur, qui soit à ce point à l'opposé de ce que les gens imaginaient de moi, quelqu'un de très explosif, et qui a une autre stature que la mienne.»

Photo fournie par Vendôme Productions

Pawel Puchalski (Romain Gary, à 8-10 ans) et Charlotte Gainsbourg, dans La promesse de l'aube

Les critiques

En France, le film d'Éric Barbier a reçu un accueil très contrasté, allant des éloges de Marianne, Libération, Le Parisien ou Paris Match, aux claques de L'Obs, du Figaro et des Inrockuptibles, ce dernier étant le plus raide en titrant «La promesse d'une daube». Il faut dire que la frontière est mince entre l'adaptation du roman et le biopic traditionnel, et que le roman, comme le film, évoque une France fantasmée sur laquelle les médias se déchirent aujourd'hui, selon qu'on soit de gauche ou de droite. C'est l'héritage même de Gary, gaulliste notoire, qui fait peut-être problème - on l'a d'ailleurs considéré comme «ringard» de son vivant pour cette raison. Mais ce qu'il faut surtout retenir, à notre humble avis, c'est l'oeuvre romanesque, qui a survécu à toutes les époques troubles, et dont on ne cesse de redécouvrir la grande humanité.

Suggestions de lecture

Outre la lecture de La promesse de l'aube, un incontournable de la bibliographie imposante de Romain Gary, un être multiple qui a écrit sous différents pseudonymes (son plus célèbre étant Émile Ajar), plusieurs livres tentent de percer le mystère Gary, qui est un personnage en soi et pour lui-même, d'une certaine façon. De ses origines qu'il a toujours romancées à son suicide en 1980, rien n'est ordinaire dans cette vie.

Éric Barbier a inséré dans son film des détails du portrait tracé par Lesley Blanch qui a été sa femme pendant 18 ans (Romain, un regard particulier, Actes Sud).

L'écrivaine Nancy Huston est une grande admiratrice de Gary, auquel elle a rendu hommage dans Tombeau de Romain Gary en 1995.

Dominique Bona et Myriam Anissimov se sont attaquées au mythe par la biographie (Romain Gary, Mercure de France, 1987, Romain Gary, le caméléon (2004) et Romain Gary, l'enchanteur (2010), chez Denoël).

Enfin, sachez que toute l'oeuvre de Romain Gary est entrée dans La Pléiade en 2014, pour le centième anniversaire de sa naissance.

La promesse de l'aube d'Éric Barbier prend l'affiche le 13 avril.

Photo archives Agence France-Presse

Portrait non daté du romancier français d'origine russe Romain Gary (1914-1980)