La plupart des gens ont d'abord connu le grand Montréalais qu'était Leonard Cohen par ses chansons. La qualité de ses textes reposait toutefois sur son amour profond des mots et du langage. Aux yeux des quatre écrivains que nous avons contactés, Leonard Cohen était et restera un grand poète.

« Je le vois d'abord comme un poète. Il est devenu chanteur par accident. Fondamentalement, ses instincts sont ceux d'un poète. Les mots, pour lui, sont une manière d'ouvrir la réalité, de voir ce qui se cache derrière. Son instinct est dans le langage. Sinon, ses chansons ne seraient pas aussi poétiques », pense Emmanuel Kattan, romancier et philosophe québécois vivant à New York.

La poète Carole David le qualifie d'ailleurs de « très grand poète montréalais ». « J'ai découvert sa poésie et ses romans dans de mauvaises traductions faites en France, dit-elle. Ensuite, je l'ai lu en anglais. Leonard Cohen vient de la littérature. C'est pourquoi son écriture en chanson ne s'est pas gâtée. Il a atteint des sommets dans l'esthétique qu'il a créée. Il a eu des maîtres à penser comme Irving Layton et García Lorca. En choisissant la chanson, il a fait un certain pied de nez à l'institution littéraire, mais il demeure un grand poète. »

Stephen Scobie, poète et professeur à l'Université de Victoria, en Colombie-Britannique, estime que « sa poésie va rester. Surtout ses recueils du début des années 60, notamment The Spice-Box of Earth et Flowers for Hitler. Ce sont deux livres qui figurent parmi les meilleurs recueils canadiens de l'époque. Son passage à la chanson s'est fait naturellement. Il avait besoin de gagner sa vie. Après des débuts hésitants, il est devenu un très grand interprète ».

« Il a fait preuve d'une constance remarquable toute sa carrière. Ses thèmes sont restés les mêmes : l'amour, la mort, le pouvoir, le sexe et la religion. Tout était là dans son tout premier livre en 1956, Let Us Compare Mythologies, et on les retrouve dans son tout dernier disque, You Want It Darker. »

« S'il avait persisté en poésie, peut-être qu'il se serait répété, note l'auteure et spécialiste de la littérature juive de Montréal Chantal Ringuet. Au contraire, Leonard Cohen est un artiste qui a toujours su se réinventer au fil des époques. Il y a toujours eu une quête spirituelle et d'absolu dans son écriture. Sa poésie est très influencée par la culture juive. C'est une poésie nord-américaine, plus précisément montréalaise. C'est une sorte de passeur entre un monde auquel on pourrait aspirer et nous. C'est une des raisons pour lesquelles il a rejoint tellement de gens. »

Romancier

À la fin des années 50 et au début des années 60, Leonard Cohen fait partie des McGill Poets avec d'autres étudiants de l'université. Son premier roman, The Favourite Game, est sorti en 1963. Son deuxième, Beautiful Losers, n'ayant pas obtenu le succès escompté, il tente sa chance en chanson en partant aux États-Unis. On connaît la suite.

« Cela lui a pris quelques années avant de se développer comme chanteur, raconte Chantal Ringuet. Il y a une continuité entre sa poésie et ses chansons. Les traductions de Michel Garneau au Québec ont permis une meilleure diffusion de ses textes. Il n'a jamais regretté d'être passé à la chanson. Il n'avait pas à le faire. »

« J'aurais aimé qu'il écrive un autre roman, dit Stephen Scobie, mais d'un autre côté, Beautiful Losers est allé au bout de ce que peut être un bon roman expérimental. C'est difficile d'imaginer mieux en fiction. Plus de 50 ans après sa publication, il s'agit du roman expérimental le plus étonnant jamais publié au Canada. »

Carole David est du même avis. « Je le repassais aujourd'hui. On y trouve deux hommes et une femme anglophones, un terroriste québécois et Kateri Tekakwitha. Il y réunit toutes les identités canadiennes. » 

« [Beautiful Losers] est loin d'être un roman traditionnel et il assez étonnant pour l'époque. J'espère qu'on va revenir à sa littérature. »

« C'est quelqu'un qui n'avait pas de réponses, mais il posait des questions, note Emmanuel Kattan. C'est là qu'il se retrouve et que l'on se retrouve en lui. Cette quête ne s'est jamais complètement terminée pour lui. Il avait beaucoup d'humour, et même dans sa poésie, il ne se prenait pas au sérieux. Il aimait utiliser les mots, les sonorités pour amuser. C'était aussi sa manière de s'engager dans le monde. »

Cohen ou Dylan?

Poète dans l'âme, donc, Leonard Cohen. Sans vouloir retomber dans la controverse, la question demeure : aurait-il mérité qu'on lui attribue le prix Nobel de littérature en lieu et place de Bob Dylan ? 

« Je suis l'une des personnes qui ont signé une lettre de recommandation pour la candidature de Bob Dylan, confie Stephen Scobie. Je dirais que nous n'avons pas à les comparer. Il s'agit de deux grands artistes. Comme auteurs de chansons, ils sont uniques, incomparables. Les deux ont su continuer au-delà des modes et des tendances en apportant toujours une nouvelle fraîcheur à ce qu'ils faisaient. »

Chantal Ringuet ne se prononce pas vraiment, mais elle souligne qu'il y aurait sans doute eu moins de controverse avec Leonard Cohen puisque le Montréalais était déjà un poète confirmé avant de se lancer en musique.

« Cohen s'inscrit dans le sillage de Dylan cinq ans après lui, rappelle-t-elle, mais il n'était pas autant dans la revendication. Son style était davantage personnel et romantique, ce qui a fait sa signature. »

Emmanuel Kattan préfère laisser le dernier mot à l'humour de Leonard Cohen. Le troubadour montréalais a dit récemment qu'attribuer le Nobel à Bob Dylan, « c'est comme décerner une médaille à l'Everest pour le récompenser d'être la plus haute montagne du monde ».

Chapeau !

Les écrits de Cohen

RECUEILS DE POÉSIE

Let Us Compare Mythologies (1956)

The Spice-Box of Earth (1961)

Flowers for Hitler (1964)

Parasites of Heaven (1966)

The Energy of Slaves (1972)

Death of a Lady's Man (1978)

Book of Mercy (1984)

Stranger Music : Selected Poems and Songs (1993)

Book of Longing (2006)

ROMANS

The Favourite Game (1963)

Beautiful Losers (1966)