Un conflit armé d'un demi-siècle à exorciser et l'ombre d'un monstre sacré, Gabriel Garcia Marquez. Pour les écrivains contemporains en Colombie, difficile d'échapper à ce double et pesant héritage.

Nombre d'auteurs, réunis au festival international de littérature Hay Festival qui s'est achevé dimanche dans le port caribéen de Carthagène, avouent que l'incroyable violence des armes est un puits évident pour leur inspiration.

«Cela m'intéresse beaucoup de savoir d'où vient l'âme violente de ce pays», affirme à l'AFP l'écrivain Piedad Bonnett, née en 1951 et qui avait 15 ans lors de la création de la rébellion marxiste des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc), la principale guérilla.

«Nous les écrivains colombiens, nous sentons au fond de nous que nous ne pouvons pas l'éluder», ajoute cette linguiste, auteur de Qui n'a pas de nom et également poétesse et dramaturge de renom.

En cinquante ans, le conflit interne, qui a mis en scène des guérillas communistes mais aussi des paramilitaires d'extrême droite et des groupes de trafiquants de cocaïne, a fait plusieurs centaines de milliers de morts.

«Une histoire pour se libérer»

L'écrivain Juan Gabriel Vasquez appartient lui à une autre génération. Comme tous les Colombiens nés dans les années 70, il se dit «très marqué par la violence» du pays qui s'imposa rapidement comme le premier producteur de cocaïne au monde.

«C'est parce que nous sommes nés avec le narcotrafic et que nous avons grandi avec lui, tandis qu'il se transformait en une industrie du crime et du terrorisme», explique-t-il à l'AFP.

Dans son roman à succès Le bruit des choses qui tombent, qui a remporté le prestigieux prix Alfaguara en 2011, l'auteur imagine un récit hanté par le fantôme du baron de la drogue Pablo Escobar, le fameux patron du cartel de Medellin, abattu il y a 20 ans par la police.

«Si quelqu'un se penche sur la littérature du XXe siècle, il se rend compte que les romans constituent une tentative de réponses aux questions que nous nous posons. Pourquoi c'est arrivé? Comment le fait d'avoir vécu de telles choses nous a transformés? Et dans ce sens, c'est normal que la littérature colombienne continue de parler du narcotrafic, d'Escobar, du terrorisme», poursuit-il.

Cet élan littéraire n'est, selon ces écrivains, pas prêt de retomber malgré l'ouverture par le président Juan Manuel Santos de négociations de paix en 2012 avec la guérilla marxiste des Farc, qui se déroulent à Cuba, sans cessez-le-feu bilatéral sur le terrain militaire en Colombie.

Pour les participants à un colloque sur ce sujet durant le festival, ces histoires sur la violence agissent comme une catharsis pour les lecteurs et peuvent avoir un effet bénéfique en vue de la paix.

«Quand quelqu'un raconte une histoire, il essaie de faire en sorte que les autres se mettent dans les habits de ceux qui en ont souffert. Mas je crois que le but est aussi de se libérer de cette histoire, de ne pas continuer tout le temps à se la remémorer», a assuré Hector Abad, l'une des grandes plumes de Colombie.

Dans son roman L'oubli que nous serons, ce dernier raconte la vie de son père, un médecin de Medellin aux allures de Robin des bois, assassiné par les paramilitaires pour ses idées progressistes.

Tout ces écrivains ont en tout cas un point commun, celui de créer qu'ils le veuillent ou non dans les pas du géant de la littérature colombienne Gabriel Garcia Marquez.

«Il y a beaucoup d'écrivains de ma génération pour lesquels c'est un poids, quelque chose qui leur fait de l'ombre et les dérange profondément, mais pour moi c'est tout le contraire», confie Hector Abad.

Pour Juan Gabriel Vasquez, le «boom latino-américain» a tout de même permis aux auteurs de «se libérer de la coutume d'écrire seulement à l'intérieur de leurs traditions nationales».

Quant à Piedad Bonett, elle évoque le prix Nobel de littérature, qu'elle a découvert à l'âge de 18 ans, comme une «compagnie et une présence», qui lui a donné la force de se lancer dans l'écriture.