L'écrivain chilienne Isabel Allende, qui s'essaie pour la première fois au genre policier avec El juego de Ripper, a parfois la nostalgie de «l'innocence littéraire» avec laquelle elle avait abordé l'écriture de son premier roman, le best-seller La maison aux esprits.

«À cette époque, j'étais une totale innocente en matière de littérature», déclare à l'AFP l'écrivain, installée à San Francisco. La maison aux esprits, publiée en 1982, a lancé la carrière d'Isabel Allende, qui a vendu depuis 60 millions de livres dans 35 langues.

L'auteur, qui a signé 20 ouvrages - romans, essais et mémoires -, raconte l'époque où elle vivait exilée au Venezuela et devait se lever à l'aube pour écrire quelques heures, avant d'aller travailler.

«Je n'avais peur de rien, parce que je ne connaissais pas le monde des éditeurs, des agents et des contrats. Cette innocence, je l'ai perdue», dit-elle. «J'ai beaucoup de liberté pour écrire, mais (je regrette) la liberté de l'ignorant, de celui qui ne sait pas dans quoi il se lance».

Son dernier livre El juego de Ripper (Le jeu de Ripper, encore inédit en France) est en tête des ventes en Espagne et en Amérique latine depuis sa sortie début janvier. La version anglaise sort mardi.

Dans ce roman, l'écrivain de 71 ans oppose le mysticisme de la guérisseuse Indiana au pragmatisme de sa fille Amanda, une adolescente obsédée par le jeu de rôle Ripper, qui décide d'enquêter sur une série de crimes à San Francisco.

L'action se passe en 2012, «ce qui signifie que je n'ai pas eu à étudier une époque» historique, explique-t-elle. Elle a ainsi pu se concentrer sur l'aspect criminel de la narration, en assistant notamment à une conférence pour écrivains de romans policiers.

«Les intervenants étaient des détectives, policiers, médecins légistes, experts en armes, ou un chimiste qui a parlé des poisons. Toute une gamme de gens qui pouvaient me donner de l'information. Cela m'a beaucoup aidée», reconnaît-elle.

Mais la nécessaire précision du genre policier a été difficile pour une artiste qui ne planifie pas ce qu'elle écrit.

«Les auteurs de ce genre de romans doivent avoir tous les éléments très organisés car il faut installer toutes les clés de ce qui va se passer», explique-t-elle. «Mais moi, les plans ça ne me va pas. J'ai écrit 20 livres en 30 ans et je n'ai jamais pu faire un plan».

Une méthode qui fonctionne, si l'on en croit les ventes. «Mais ça me fait travailler beaucoup plus», regrette-t-elle. «J'avance par cercles, au lieu de suivre une ligne droite et claire».

Si le livre rend justice au genre policier, la myriade de personnage et l'importance donnée aux croyances «new age» relèvent directement du style de l'auteur de La maison aux esprits.

Comme un clin d'oeil, le narrateur du livre affirme que le «réalisme magique» - illustré notamment par Gabriel Garcia Marquez - est «un style littéraire passé de mode».

À ce sujet, Isabel Allende déclare: «On m'accuse encore de réalisme magique mais la vérité c'est que on ne l'utilise plus. Doit-on appeler réalisme magique l'acupuncture ou l'astrologie? Je pense que non, car on la pratique ici tous les jours».

«C'est très bizarre», poursuit-elle. «Quand il s'agit de quelque chose qui se passe aux États-Unis, ce n'est pas du réalisme magique. Mais si la même chose se passe en Amérique latine, alors cela devient du réalisme magique», dit-elle. «Ce auquel croient les Américains, c'est la religion. Et ce auquel nous croyons (en Amérique latine), c'est la superstition».

L'écrivain, dans un autre clin d'oeil, tourne en dérision les acrobaties érotiques du best-seller de la Britannique E.L. James, Fifty Shades of Grey.

Isabel Allende, qui habite depuis 1993 aux États-Unis - et dont elle a adopté la citoyenneté il y a dix ans - affirme avoir ainsi voulu se moquer du livre et de «ce qui est à la mode».

«Pour dire la vérité, je n'ai pas pu le finir parce que c'était un roman à l'eau de rose avec un peu de pornographie», tranche-t-elle.