Le cadeau-blague, le cadeau-message, le cadeau utile ou souhaité peut prendre une couleur particulière quand il s'agit d'un livre. À cause du titre d'abord. Imaginez la réaction d'André-Pierre quand, au party de bureau, il déballe son cadeau: la réédition en poche de L'art d'avoir toujours raison d'Arthur Schopenhauer, philosophe de l'absurde. Hilarité autour du sapin argenté et sourires entendus des collègues dont plusieurs se demandent si cet Allemand ne serait pas un ancien pilote de Formule 1...

Le contenu, par contre, procède souvent d'intentions qui transcendent l'humour.

À la Librairie du Square, exiguë mais bien garnie, Françoise Careil nous dira que beaucoup de ses jeunes clients offrent en cadeau à leurs proches, leurs parents souvent, des livres «pour les amener à changer d'idée sur un sujet donné».

«Le livre devient alors un cadeau idéologique», nous dit la libraire du carré Saint-Louis. «Ils me décrivent la personne et ses opinions et, à la fin, je connais toute leur histoire familiale... J'aime ce type d'échanges.»

Comme cadeau idéologique, on pense tout de suite à Tenir tête de Gabriel Nadeau-Dubois, pour les pères qui lisent, ou le livre de photos de Jacques Nadeau que recevront quelques mononcles qui ont toujours des opinions assez bien arrêtées sur «les carrés rouges» du printemps érable de 2012. À part Denis Coderre, quel sera l'autre grand sujet de discussion dans les rencontres festives des deux prochaines semaines? En attendant le retour des Nordiques à Québec, on peut arguer que la Charte des valeurs du PQ en fera pomper plusieurs.

Deux essais étrangers qui n'ont rien de rigolo ni dans le titre ni dans le propos peuvent éclairer ici les tenants des deux côtés de la clôture.

Les Identités meurtrières d'Amin Maalouf date de 15 ans mais n'a rien perdu en actualité; le Franco-Libanais y prône l'appartenance première à l'humanité.

Le philosophe Alain Finkielkraut, de son côté, argue dans L'identité malheureuse qui vient de sortir que, «pour la première fois dans l'histoire de l'immigration, l'accueilli refuse à l'accueillant la faculté d'incarner le pays d'accueil». Beau terrain de discussions...

Il est une autre sorte de cadeaux que l'on pourrait entrer dans la catégorie «intéressés».

Exemple: amant de la pizza, vous offrez à votre blonde (qui ne raffole pas de la chose) Pizzas pas comme les autres de Jamie Young: «Tu devrais essayer celle aux calmars, ça a l'air bon...»

Bien sûr, ladite conjointe, elle, peut avoir eu l'idée de vous offrir le dernier livre de recettes de Ricardo... avec le titre adapté par sa main au talent du mauvais cuisinier que vous êtes: La mijoteuse - de la lasagne à la crème brûlée.

Le comble du cadeau intéressé reste évidemment celui que l'on aurait aimé recevoir... et que la proximité du destinataire nous permettra d'emprunter.

Le matin de Noël, ce sera le cas de milliers d'exemplaires d'Astérix chez les Pictes, premier album du tandem Jean-Yves Ferri/Didier Conrad qui se retrouve au sommet de tous les palmarès. Avec une première impression de 5 millions d'exemplaires.

Blague à part, voici quelques autres titres qui sortent vite de la Librairie du Square: Les clés du Paradise de Michel Tremblay, L'orangeraie de Larry Tremblay et Le quatrième mur de Sorj Chalandon, Goncourt des lycéens que voudront lire tous ceux qui s'intéressent au théâtre. Le tango de la Vieille Garde aussi, d'Arturo Perez-Reverte; si quelqu'un veut nous l'offrir en cadeau, on pourra lui prêter après le jour de l'An...

Avec les disques, les intentions idéologiques semblent absentes.

«Il y a des gens qu'on ne voit qu'une fois par année, avant Noël», nous dit Gilles Boisclair, responsable de la section jazz-blues-world chez Archambault Berri. «Ils nous consultent, en précisant quel artiste ou quel genre de musique aime celui ou celle à qui ils veulent faire un cadeau. Et ils repartent avec trois, quatre CD...»

Les Québécois, fans fidèles, sont aussi de grands amants de musique de Noël, un genre où les succès sont nombreux cette année. Ces Noëls d'autrefois de Paul Daraîche et Noël à deux du couple Marie-Ève Janvier/Jean-François Breau viennent d'être certifiés disque d'or (40 000).

Par ailleurs, le CD Noël de la pianiste Julie Lamontagne domine les ventes jazz de iTunes Canada tandis qu'Émilie Claire Barlow, la nouvelle darling du Québec, vient au deuxième rang avec Winter Wonderland, un disque sorti en 2006.

Parmi les autres succès québécois de la saison, Gilles Boisclair citera I'm Leaving You de Florence K et JOGO du guitariste Carlos Jiménez, enregistré en trio avec le contrebassiste Fraser Hollins et le batteur Rich Irwin.

Pour se dépayser, les acheteurs de Noël favorisent ces jours-ci la Franco-Haïtienne Cécile McLorin-Salvant (Woman Child), la Portugaise Ana Moura (Desfado), et l'Irano-Américaine Azam Ali (Lamentation of Swans), trois voix féminines auxquelles, dira notre expert, il faut ajouter celle du bassiste camerounais Richard Bona (Bonafied), Grand prix jazz de la SACEM en 2012.

À donner, comme blague ou comme «message», au beauf' qui n'endure pas ceux qui chantent en douala...