Pas besoin d'avoir lu tous les tomes d'À la recherche du temps perdu pour apprécier Proust à Sainte-Foy. Il suffit de partager avec son auteure Hélène de Billy un amour pour les phrases bien construites, un certain sens du jeu et une sensibilité envers le sort des personnes âgées.

Journaliste, scénariste, recherchiste, biographe (de Riopelle) et maintenant romancière. Hélène de Billy signe, après sa bio romancée d'André Mathieu, son véritable premier roman. Un «objet» en trois dimensions qui offre plusieurs niveaux de lecture, mais dont la "charpente" reste l'oeuvre de Proust.

«Ça ne s'adresse pas nécessairement aux gens qui ont lu Proust. En ça, je me suis inspirée de Robert Lepage. Quand il fait une pièce sur Miles Davis, il ne faut pas avoir écouté tous ses disques pour l'apprécier. Il faut juste observer la rencontre qui se passe devant nous.»

C'est justement une rencontre «entre deux mondes les plus éloignés possible» qu'elle a voulu créer. Dans Proust à Sainte-Foy, la lecture - ou plutôt l'écoute - d'À la recherche du temps perdu sert de thérapie à Marquise Fortier, vieille dame indigne «emprisonnée» dans une résidence pour personnes âgées.

«Je me suis dit: si j'organise cette rencontre, il faut que ces gens-là soient dans une situation un peu intenable. Je ne voulais pas inventer de guerre, mais je sais qu'il y a des situations carcérales qui sont éprouvantes, entre autres celles des vieux. Il y a des nouvelles sur le sujet tous les jours dans le journal.»

Les règlements qui régissent le Manoir Roxbory, où vit Marquise, sont tellement infantilisants et restrictifs qu'ils semblent inventés. Hélène de Billy jure qu'ils sont à peine exagérés et qu'ils sont tirés d'anecdotes réelles - oui, des vieux se font servir des sandwichs aux tomates le soir de Noël.

«C'est la partie la plus documentaire de mon livre. Ce sujet me tient à coeur. J'aurais peut-être dû l'écrire avant parce que ça me tourmente et que ça me bouleverse. C'est important de s'occuper du sort des vieux parce que non seulement c'est ce qui nous attend, mais ce sont aussi nos parents! On ne peut pas laisser faire ça, et j'ai l'impression d'avoir fait mon devoir.»

Ludique

Mais Hélène de Billy ne voulait pas écrire un roman «dramatique et déprimant». La rencontre avec Proust lui a donc permis d'introduire la lumière dans la vie de Marquise et de ses colocataires.

Elle a aussi pu développer sa théorie sur le pouvoir salvateur de l'art. Car c'est en se frottant à Proust que Marquise et ses filles, Irène et Mimi, apprennent à mieux vivre, à se pardonner leurs erreurs et à connaître une sorte de rédemption. «Je crois sincèrement que l'art peut parfois nous apporter un soulagement. Mais pas toujours, ce serait trop facile!»

C'est donc sur un mode léger qu'Hélène de Billy utilise Proust, avec des personnages parfois bédéesques et quelques situations rocambolesques. Par exemple, c'est une espèce de guérisseur d'origine antillaise qui «prescrit» Proust à Marquise. «Je trouve qu'en général, les gens venus d'ailleurs nous donnent des perspectives différentes. Et j'aimais l'idée, justement, que ce soit l'autre qui les guide vers un mammouth de la littérature française.»

Hélène de Billy, qui n'est pas contre un certain déboulonnage, se situe davantage du côté ludique des choses que de celui des proustiens fétichistes. «Je n'ai pas voulu m'inscrire dans la littérature sérieuse. Pour moi, c'est un terrain de jeu ouvert à tous et je m'y suis essayée. J'admire beaucoup Georges Perec, qui faisait toutes sortes de jeux avec la littérature. Je n'ai pas son génie, mais je pense qu'on peut faire tout ce qu'on veut, pourvu qu'on respecte le lecteur.»

Cependant, l'auteure voue manifestement un culte aux mots de Proust, auxquels elle laisse une grande place avec de nombreuses citations et paraphrases. Oui, elle avait envie de se faire plaisir et non, elle ne craint pas d'effrayer ses lecteurs. «Pourquoi parler de quelque chose qu'on aime tout en ayant peur de fatiguer le monde? Mon livre est court, tout de même, et je n'ai pas mis les citations les plus difficiles.»

Pourquoi lire Proust?

Hélène de Billy est arrivée «sur le tard» à Proust. «J'avais lu le premier tome d'À la recherche quand j'étais plus jeune et j'avais boqué.» Elle l'a redécouvert en voyant le film de Raoul Ruiz Le temps retrouvé, il y a une quinzaine d'années. Elle le fréquente sans arrêt depuis, autant en le lisant qu'en écoutant les audio-livres, comme les personnages de son roman.

Mais pourquoi lire Proust aujourd'hui? «D'abord parce qu'on en a pour notre argent, c'est tellement long! Et pour moi, il y a des phrases qui sont simplement comme des plantes ou des couchers de soleil. On les regarde et on se dit: c'est tellement beau! Même pas besoin d'être littéraire pour apprécier.»

Proust nous rappelle également que «la vie est en plusieurs dimensions» et qu'elle se situe ailleurs que dans les choses matérielles et quotidiennes. «Ce qui compte, c'est la vie intellectuelle, élever son âme. Il croyait à l'âme comme à une sorte de divinité humaine. C'est réjouissant, non?»

Proust à Sainte-Foy, Hélène de Billy, Leméac 120 pages.