Dans ses «confessions d'un enfant de la classe moyenne», l'auteur d'Arvida se prend lui-même à témoin pour décrire les grandeurs et misères d'une entité sociale aussi mal définie qu'elle est endettée. Avec au final une interrogation: que reste-t-il de notre sagesse financière?

Le sel de la terre trône déjà dans les palmarès, ce qui en dit long sur la popularité de l'auteur d'Arvida, cet étonnant recueil de nouvelles inspiré de sa ville natale, de même que sur la popularité de son sujet: la classe moyenne.

Courtisée par tous mais cernée par personne d'autre que les banques qui allongent sa marge de crédit, la classe moyenne est au Québec une «classe ouvrière qui a réussi», selon Samuel Archibald. Et si les stigmates de sa pauvreté sont toujours vives, elle a cependant oublié ses valeurs communes au profit de ses valeurs individuelles, ce qui en fait souvent «l'architecte de ses propres malheurs», écrit-il. «Elle se maintient démographiquement, mais dans son imaginaire, elle est en voie de disparition, renchérit Archibald en entrevue. Dans cet imaginaire, elle se disait: «J'ai une job pas pire, j'aurai une retraite pas pire, mes enfants vont faire aussi bien sinon mieux que moi.» Qui croit encore à ça? Personne. En tant qu'ensemble de convictions, la classe moyenne est en train de manger une grosse volée jour après jour.»

Avant d'en arriver à ces «confessions», Samuel Archibald avait commencé à écrire un essai «sérieux», mais, constatant qu'il n'était qu'un «économiste du dimanche», il s'est tourné vers ce qu'il connaissait le mieux: raconter des histoires.

Le sel de la terre s'appuie donc beaucoup sur ses souvenirs d'enfance dans les années 80 tout autant que sur les perles de sagesse de ses parents et grands-parents. Ce court essai pas mal irrésistible, drôle et tragique à la fois, qui se lit d'une traite, représente aussi la prise de conscience d'un gars qui a accédé au crédit sur le tard. «Le rêve américain m'a sauté dessus par en arrière», raconte celui qui a obtenu récemment son poste permanent de professeur de littérature à l'UQAM. «Après avoir été pauvre comme la gale pendant ma vingtaine, du jour au lendemain, je me suis retrouvé marié, avec une job, un char, une maison et des enfants. Tu regardes ton pouvoir d'achat monter et tu te dis: qu'est-ce que je fais avec cet argent-là qui va me définir d'une façon ou d'une autre?»



Une autre source d'inspiration a été la crise étudiante de 2012. Pour un garçon qui sait que ses grands-parents se sont tués à l'ouvrage afin que leurs enfants aient une meilleure éducation qu'eux, Archibald a trouvé très révélateur que l'éducation - une valeur cardinale, avec la religion, de la classe moyenne d'autrefois - soit dorénavant perçue comme un luxe. «Mes grands-parents ont travaillé pour que tout le monde s'éduque, mon grand-père s'est formé lui-même. Il y avait un ascenseur social à construire, on l'a construit. Et là, on va peut-être devoir prendre les escaliers. Ça m'a beaucoup frappé, le discours de luxe sur l'éducation. En filigrane de ça, on continue de consommer, on se paye du luxe, et on est obsédés par l'idée de manquer d'argent. On est bien dégoûtés par la politique, sauf qu'il y a un effet de miroir. On est une société d'hyperconsommation, obsédée par l'épargne, qui élit aux quatre ans des partis excessivement dépensiers qui sont obsédés par l'épargne. Ils prennent la Caisse de dépôt pour financer le Québec inc., le Plan Nord, mais pour la santé et l'éducation, on ne peut plus.»

Le piège à cons

Contradictoire et paradoxale, cette classe moyenne angoissée. Normal, elle englobe autant de gens qui tirent le diable par la queue que de gens à l'aise, autant d'ouvriers manuels que d'employés de bureau, autant d'adeptes de la gauche que de la droite.

«En sciences sociales et en économie, on parle DES classes moyennes, note Samuel Archibald. On n'a pas les mêmes intérêts et les mêmes mentalités selon qu'on travaille dans un bureau ou une shop. Dans cet ensemble, la confusion des intérêts, ça fait l'affaire de bien du monde. Les gens se projettent dans la classe moyenne et finissent par confondre leurs intérêts avec plein d'autres gens qui n'ont pas les mêmes intérêts qu'eux.»

Le sel de la terre n'est pas vraiment un éloge de la classe moyenne, plutôt un reality check dans lequel est évoqué l'espoir que cette classe se «refasse une vraie colère de classe ouvrière» plutôt que de n'être qu'une «force d'inertie» qui se plaint de trop payer pour les autres tout en dévalisant chaque week-end les Costco, Walmart et compagnie. «Chomsky l'a dit: l'endettement est une mécanique de contrôle social imparable, souligne Samuel Archibald. Comme je l'écris, on se doit le cul! Alors quand la révolution arrive, t'as pas les moyens de la faire. Nos grands-parents avaient une sainte maudite horreur de l'endettement. Tant que tu es dans ce piège à cons, tu ne peux pas t'attendre à ce que les politiciens changent puisqu'ils sont un miroir. Protéger tes avoirs et ton niveau de vie, ce n'est pas la même chose que vouloir protéger les acquis sociaux. Tout mouvement de grogne ne peut aller loin dans ces circonstances. Je suis pogné là-dedans comme n'importe qui. Personnellement, j'ai hâte de voir comment les jeunes vont arrêter de se projeter dans l'American Debt...»

D'ici là, on peut toujours lire Le sel de la terre, car, comme le dit Samuel Archibald, «à 10 piasses, c'est un bon prix Costco, pas trop épeurant».

Le sel de la terre - Confessions d'un enfant de la classe moyenne, Samuel Archibald, Nouveau Projet, 85 pages.