Ceux qui ont lu le Limonov d'Emmanuel Carrère se souviendront de Zakhar Prilepine. Ex-nazbol - c'est le nom donné aux militants d'extrême droite qui militent au sein du Parti national bolchévique -, il a raconté en détail au romancier français sa rencontre avec Limonov et ce qui l'a poussé à se joindre à son groupe. Mais on retient surtout de sa présence dans Limonov (prix Renaudot 2011) sa description sensible et poignante de la jeunesse russe des années 2000.

Prilepine a été soldat - il a fait les deux guerres de Tchétchénie et en a tiré son premier roman, Pathologies - et journaliste, entre autres pour l'édition régionale de Navaïa Gazeta, où écrivait Anna Politkovskaïa. Présent sur tous les fronts donc, il est aujourd'hui en Russie une personnalité littéraire connue - il a reçu l'an dernier pour son roman Péché le prix du meilleur livre de la décennie écoulée- et fait partie d'une nouvelle génération d'auteurs qui brasse la cage.

Publié dans sa version originale en 2007, Des chaussures pleines de vodka chaude est un recueil de nouvelles où les personnages principaux sont justement des nazbols en puissance, jeunes hommes désoeuvrés vivant pour la plupart à la campagne qui boivent de litres de vodka et de bière, courent les femmes et inventent des combines impossibles.

Il y a quelque chose de profondément russe dans cette profusion d'excès et ces viriles amitiés, aussi dans ces légendes séculaires qui rendent certaines nouvelles inquiétantes - on pense à la «viande de chien» cuite sur le barbecue, ou au mystérieux village duquel ceux qui s'y aventurent ne reviendraient pas vivants. Encrées dans un présent morne et gris, il se distille aussi de ces histoires une certaine nostalgie du passé. «C'est ainsi qu'était mon village hier: on aurait dit que quelqu'un l'avait vidé de cette substance dorée que lui donnait le mois d'août, et qu'il ne restait plus que la grisaille et les mouches», dit par exemple le narrateur dans La grand-mère, les guêpes et la pastèque.

Mais Des chaussures pleines de vodka chaude est loin de l'image romantique de la Russie et on ressort abattu par ce portrait cru d'une jeunesse sans avenir, par ces hommes qui cherchent un sens à leur vie - qui cherchent à survivre tout court - et qui rêvent d'amour, mais sèment le chaos. Prilepine saisit bien l'air du temps et le traduit subtilement en prenant son temps, dans une langue précise et vivante, avec hargne, mais aussi avec délicatesse, sans jamais juger ses personnages. Tout un art.

Des chaussures pleines de vodka chaude

Zakhar Prilepine

Traduit du russe par Joëlle Dublanchet Actes Sud, 183 pages

*** 1/2