Pour son deuxième «feuilleton» de Nous étions le nouveau monde, Jean-Claude Germain regarde l'histoire avec les yeux de Papineau... et il voit toujours la même chose.

Jean-Claude Germain n'a pas de diplôme, mais il a fréquenté de grandes écoles. L'école de la rue, d'abord, de la rue Fabre, qui a été le centre de son monde d'enfant et d'adolescent, et l'École de Montréal qui, elle non plus, n'avait ni toit ni murs.

Inscrit comme étudiant libre - et bohème - à la Faculté des lettres de l'Université de Montréal à la fin des années 50, le jeune homme s'est découvert une passion nouvelle en assistant aux séminaires dirigés par les fondateurs de l'École historique de Montréal: Guy Frégault, premier grand spécialiste de la Nouvelle-France; Maurice Séguin, pionnier de l'histoire économique du Canada français; et Michel Brunet qui a étudié les «deux Canadas» dans leur contexte nord-américain.

«Dans cette histoire, tout pointe vers l'indépendance de la nation», lance Jean-Claude Germain avec ce sourire qui en fait un merveilleux conteur, tant à la radio que dans ses écrits comme le tome 2 de Nous étions le nouveau monde, à paraître lundi chez Hurtubise. Le «nous» est le «nous» colonial canadien-français, un «nous» singulier, déjà distinct; l'imparfait nous reporte à l'époque de la Défaite, ou de la Conquête, selon que l'on est Durham ou Garneau; quant au nouveau monde, il s'écrit avec la minuscule...

«Oui, nous arrivions d'un ancien monde, la France, dans un monde tout aussi ancien et bien organisé», explique Jean-Claude Germain qui ne cache pas son admiration pour les nations amérindiennes entre lesquelles les relations étaient «extrêmement évoluées». «Nous sommes nés de la rencontre de ces deux mondes et ce qui nous a définis comme société, c'est notre histoire politique avec les tribus où notre survie a dépendu de nos qualités de négociateurs.» Et l'ancien journaliste d'évoquer la Grande Paix de Montréal de 1701, «une paix qui a duré!» Et toute cette évolution était «liée au continent: nous étions le nouveau monde...»

La camouflet de Durham

Après Le feuilleton des origines (t.1), Le feuilleton des premières veut nous faire revivre le début du XIXe siècle «à travers les yeux de Louis-Joseph Papineau», celui dont la «tête» sert encore aujourd'hui d'étalon de l'intelligence commune. En 1816, Papineau était chef du Parti canadien et président de l'Assemblée du Bas-Canada dont les gouverneurs britanniques refusaient de reconnaître la souveraineté. Déjà que les représentants de cette population canayenne «ignorante et crédule à l'extrême» insistaient pour parler français en Chambre, voilà qu'à la suite de leur leader Papineau, ils voulaient contrôler les dépenses voire nommer les juges...

Jean-Claude Germain, on s'en doute bien, a un «bon mot» pour chacun des gouverneurs britanniques qui défilent ici après avoir assuré la suprématie de l'empire aux Indes ou en Afrique du Sud: de l'Écossais James Henry Craig, le «petit roi», à Gosford, tenant de la politique de «la main tendue à moitié ouverte», de Sherbrooke, mort de la rage, à Dalhousie qui «pète les plombs» en 1828, prorogeant le Parlement après deux jours de travaux.

«Le parlementarisme britannique relevait d'un système qui nous était étranger, explique M. Germain qui reprend en grande partie ici le contenu de son Feuilleton de Montréal, diffusé à l'émission CBF Bonjour en 1991-1992 à l'occasion du 350e anniversaire de Ville-Marie et publié plus tard en trois tomes chez Stanké. «Papineau et les Canayens ont voulu faire fonctionner ici un système de classes où les lords anglais faisaient ce qu'ils voulaient...»

Dans «la belle-mère patrie» tout baignait, mais ici, le résultat s'est décliné en tensions, frustrations et violences pour mener éventuellement à la Rebellion... et à l'Histoire. «Au Québec, lit-on dans le chapitre d'ouverture intitulé Le Bonhomme Seven O'Clock, «l'Histoire est née sous la forme d'une riposte à un camouflet d'un aristocrate anglais. Lord Durham avait statué en 1839 que nous étions «un peuple sans histoire et sans littérature». C'était d'autant plus insultant que c'était vrai.»

«Bon... On avait une histoire, mais on n'avait pas eu le temps de l'écrire», rectifie Jean-Claude Germain en rappelant que F.X. Garneau avait pondu le premier tome de son Histoire du Canada en 1848, qui n'a jamais été enseignée dans les écoles parce qu'on préférait la «légende dorée» de quelques héroïques figures. «En disant qu'on n'avait pas d'histoire, Durham éliminait du même coup les 80 ans qu'on venait de passer dans l'histoire de l'Empire britannique! Mais il avait raison en disant que la population du Bas-Canada n'était plus française: par le fait même, il reconnaissait l'identité canayenne. On n'était plus des Français depuis longtemps; on était des Canayens. Personne n'a jamais voulu retourner en France!»

Jean-Claude Germain n'en admet pas moins que le rapport Durham, encore aujourd'hui, en garde plusieurs «dans un processus mental pour prouver qu'on est encore Français». La réponse est courte: «ARRÊTEZ!»

Quant au soulèvement de 1837-1838, à la symbolique si chère aux ultras, Jean-Claude Germain y voit un épisode «pitoyable» de notre histoire malgré la légitimité de la volonté qui l'a fait naître. «Il n'y a jamais eu de guérilla. La rébellion a été l'oeuvre mal préparée d'avocats qui cherchaient la gloriole militaire à la française, cachés derrière les arbres et armés de bâtons pour affronter des troupes aguerries...»

L'Histoire se répète, veut le cliché; d'aucuns diraient qu'elle piétine. Qu'en est-il aujourd'hui de l'idéal indépendantiste? «Les Québécois n'ont aucun sens du tragique», affirme Jean-Claude Germain, dramaturge souriant et fondateur du Théâtre d'Aujourd'hui. «Il faut pousser la porte. Maintenant, c'est insignifiance ou indépendance...»

Nous étions le nouveau monde 2. Le feuilleton des premières

Jean-Claude Germain

Hurtubise, 310 pages